Une hypothèse pour analyser du rôle de la musique dans ce roman de M.Duras.
Musique et littérature dans Moderato Cantabile
« Modéré et chantant, peut-être, mais Moderato cantabile est moins fait de musique et de mélodie que de lumière silencieuse, (…) »
Dominique Aury, La N.N.R.F., 01/06/58.
Cette citation, que nous avons pu extraire d’un l’article de critique du roman Moderato cantabile, nous semble intéressante à plusieurs titres. En effet, si elle confirme bien la présence de la musicalité dans le roman, lui donnant ainsi une importance, et tente d’identifier l’idée principale de l’œuvre exprimée dans ce roman de Marguerite Duras, par l’expression de la « lumière silencieuse », que nous interprétons comme la destinée « lumineuse » que se choisit Anne Desbaresdes en associant sa vie à celle de Chauvin.
Citer ce propos ne signifie pas que nous l’approuvons totalement. En effet nous sommes en désaccord avec cette citation dans la mesure où nous réfutons l’idée selon laquelle la musicalité ne serait pas essentielle pour comprendre ce roman. Nous allons tenter de défendre ici l’idée que le roman qui nous intéresse est composé, et pensé, comme une sonatine. Nous estimons en effet que ce texte se construit sur deux grandes idées : la musique, manifestée par la sonatine de Diabelli, et la sensualité liée au contexte du meurtre de la jeune femme par son amant puis de la relation Chauvin-Anne Desbaresdes.
L’importance de la musique a pu être soulignée par Giulia Spagni, comme lorsqu’elle a affirmé :
« La présence des éléments auditifs dans l’œuvre Moderato Cantabile est digne d’attention. La musique, en première place, s’insinue sournoisement dans l’histoire et en devient une partie intégrante. Elle naît dans les premières lignes du récit et elle s’éteint avec sa fin. L’écriture de Marguerite Duras permet à la musique de s’entrelacer à la structure du texte jusqu’à en devenir une composante fondamentale.[1] »
Parviendrons-nous cependant à comprendre toutes les implications de la musique dans ce texte ? Nous ne le pensons pas, car nous ne pensons pas que Marguerite Duras n’a pas donné toutes les clefs de lecture de son ouvrage. Aussi nous aurions pu déclarer comme Maurice Nadeau lorsqu’il commenta l’ouvrage : « l’auteur se referme sur ses secrets.[2] »
Nous pourrions également affirmer, comme Claude Roy dans son article pour Libération consacré au roman de Duras peine sorti des presses, le 01/03/58 :
Puisque le titre ( et un des thèmes conducteurs) du roman nous invitent à penser à la musique, disons que les modulations, l’harmonisation et les accords de Moderato cantabile constituent l’essentiel.
Ce qui me semble pourtant dominer dans ce livre net et précis, c’est précisément l’émotion, la sensibilité, le murmure savamment réprimé d’une plainte vraiment belle et out à fait déchirante.[3]
Commençons cependant par définir nos termes : Qu’est-ce que la sonatine ? Il s’agit d’une sonate plus courte, et plus légère, que la sonate traditionnelle[4].
Tentons également d’expliquer le titre de notre œuvre :
L’expression Moderato cantabile est l’addition de deux termes italiens signifiants « modéré et chantant », comme le définit Anne Desbaresdes elle-même, est régulièrement réutilisée dans le roman. Elle est à la fois un titre, et selon notre analyse, un leitmotiv, autrement dit un air musical associé à une situation la présence d’un personnage : « l’enfant », dont on ignore le prénom par ailleurs. On peut se demander si le titre est d’une ironie, puisque le roman semble bien décrire l’inféodation par l’homme de la femme sans violence, en l’occurrence celle d’Anne Desbaresdes par Chauvin, et ce dans une atmosphère d’agréable sensualité qui se transforme rapidement en relation mortifère entre ces deux personnages, relation qui se veut calquée sur celle de deux inconnus, un amant assassin et une amante assassinée, dont on apprend l’existence au premier chapitre.
La problématique qui en conséquence nous semble la plus pertinente est la suivante : En quoi Moderato Cantabile est-il un roman construit sur le schéma d’une sonatine ?
Puisque nous identifions une sonatine, nous pouvons l’analyser en trois parties. Voici le plan que nous proposons :
Partie I : Exposition (chapitre I)
Partie II : Le développement (chapitres II, III et IV).
Partie III : La réexposition (chapitres V, VI, VII et VIII)
Notons, pour que le suivi des références soit plus aisé, que nous travaillons avec l’édition du livre Moderato Cantabile publié aux Editions de Minuit et publié en 1980.
I : L’exposition (chapitre I) :
Une exposition, par définition, se divise en deux thèmes musicaux, dits « A » et « B ». Le premier, A, est dit « dominant » sur le second, B.
Nous estimons que le thème A, dominant, est la musique : on peut en effet observer que le terme de Moderato Cantabile apparaît dès les premières lignes du récit, dès la 1ere page, (la 7e), et il y est répété trois fois.
Le premier enjeu du récit est la définition du terme de moderato cantabile. Mme Giraud, professeure de musique, tente de faire réciter à « l’enfant » (qui n’est, notons-le, jamais désigné autrement, il n’a ainsi pas le droit à un prénom) la traduction du terme. Sans succès. Cette scène s’étale sur plusieurs pages : ce qui permet à l’auteure de signifier l’importance du terme pour l’intrigue du récit.
On finit par apprendre le sens de l’expression moderato cantabile : modéré et chantant.
Le terme de « sonate » apparaît finalement en page 14. On apprend d’ailleurs qu’il s’agit d’une sonate de Diabelli, un musicien autrichien (1781-1858). Une atmosphère musicale prolongée se forme : « La sonatine se déroula, grandit, atteignit son dernier accord une fois de plus. » (page 16)
Cette sonate demeure présente dans le récit par l’intermédiaire de l’enfant, qui après avoir abandonné le clavier du piano « fredonnait la sonatine de Diabelli. », à la page 19.
Giulia Spagni a pu souligner l’intérêt à porter, parce qu’ils participent à la musicalité, aux bruits :
Les bruits forment l’imaginaire nécessaire au déroulement de l’histoire qui lentement se développe lors de la poursuite de la lecture. Le lecteur commence à envisager l’endroit où le récit se déroule grâce aux sons qui regorgent de l’écriture de Duras. Le bruit de la mer devient un acteur du récit qui intervient et participe à l’intrigue. [5]
Aussi la musique, ne disparaît jamais vraiment dans le récit : elle demeure à l’oreille des personnages. Et alors même que le cadre du récit évolue : les personnages se déplacent du lieu où Mme Giraud enseigne à l’enfant, au café du port par exemple.
Les « sons » évoqués par Giulia Spagni participent à la compréhension du récit, renforcent ou affaiblissent le sens de certains mots. On peut en conséquence se demander si les mots ont bien la signification qu’ils portent en eux, comme Claude Delmont le fit :
Ce que Marguerite Duras a tenté et réussi avec son dernier roman, c’est un livre où les gestes et les mots, en même temps qu’ils ne veulent dire que ce qu’ils disent, dénoncent immédiatement leur transcendance. [6]
Le rapport à la musique des personnages est questionnable. En effet, on sait que l’enfant ne veut plus jouer du piano, mais on peut deviner un rapport difficile à la musique, venant d’Anne Desbaresdes : « Jamais je ne lui chante de chansons », affirme cette dernière en parlant de son fils. On peut se demander s’il s’agit d’un refoulement, d’un refus de la musique qui revient malgré elle, fredonnée par l’enfant. La musique au piano s’achève d’ailleurs de manière limpide : « la dame proclama la leçon terminée pour ce jour-là. » dans une ambiance de tension (atmosphère à laquelle participe Mme Giraud) due à la mauvaise volonté de l’enfant.
Giulia Spagni précise également :
Les expressions propres au monde de la musique (partition, moderato cantabile, clavier) se manifestent dans les premières lignes. Néanmoins, le rapport avec la musique ne se présente pas comme naturel et simple. La première émotion liée à la musique qui ressort du texte est celle d’un rejet, d’un refus. » Ce refus est celui de l’enfant.[7]
C’est en parallèle de ce thème dominant qu’apparaît le thème « B », que nous pourrions baptiser « le thème sensuel » sous la forme de la relation amant assassin-amante assassinée. Ce thème apparaît subitement, violemment :
« Dans la rue, en bas de l’immeuble, un cri de femme retentit. » Une plainte longue, continue, s’éleva et si haut que le bruit de la mer en fut brisé ». Nous sommes page 12 du roman.
Nous pouvons, une fois ces précisions données, nous intéresser au développement plus substanciel de l’intrigue et des personnages.
II-Développement (chapitre II, III, IV)
Dans ce que nous nommons le développement, la musique est toujours présente, mais les références musicales s’éparpillent dans les trois chapitres qui la composent. Le développement permet-il de réellement comprendre nos personnages. Rien n’est moins sûr, et nous ne pourrions pas analyser ces chapitres comme le cinquième, qui serait lui sans doute plus apte à nous les faire comprendre. C’est ce chapitre sans doute qui correspond à la description qu’en donnait Mauriac :
Il y a dans Moderato Cantabile un admirable chapitre qui nous permet enfin de situer les personnages et de comprendre le peu, qui, en eux, peut être compris.[8]
On observe de temps à autre, au fil des pages, quelques vagues références à une musicalité, assez vague : « il chantonna », en parlant de l’enfant, (page 38) ou encore : « Ils [ les deux ivrognes] chantent très fort ou ils font des discours », page 58.
C’est la sensualité, le thème B donc, qui sera développée dans ces trois chapitres, et qui permettra, à force de suggestions, d’aboutir à la substitution du duo des deux inconnus amants à la relation Anne-Chauvin. A plusieurs reprises dans le récit, on peut se demander quel est le véritable rapport à la réalité d’Anne : « Je voudrais un verre de vin. », page 38, et « Elle le but aussitôt servi » page 38. Aussi l’évolution du récit n’est peut-être pas corrélée à la réalité des faits décrits, et participe à l’association de la musique, du vin et du désir: ces trois éléments ainsi unis aboutissent à l’ivresse des sens d’Anne.
La suite du récit peut comprendre des sous-entendus sensuels, comme : « Le magnolia, à l’angle gauche de la grille, est en fleurs. » à la page 42.Les magnolias deviennent ainsi, en se fiant à cette lecture au second degré, synonymes de sensualités :
« L’odeur des magnolias est si forte, si vous saviez. »
Cette sensualité n’est pas sans correspondre à l’établissement d’un rapport de domination qui se construit petit à petit entre Chauvin et Anne :
« Il s’attarda, sans répondre à sa question, à voir enfin la ligne de ses épaules », page 43.
C’est dans le même passage que se construit une relation que nous pourrions qualifier de déséquilibrée : « Ses yeux revinrent aux siens, d’une fixité un peu hagarde. » Anne semble sous l’emprise de Chauvin.
La sensualité omniprésente ne se dissocie jamais vraiment de la présence de l’alcool :
« […] je voudrais boire un peu de vin », page 55. Il semble y avoir une différence d’état d’esprit des deux personnages, Anne et Chauvin, lorsqu’ils se rencontrent. Anne interroge avec avidité Chauvin pour obtenir des réponses. Son interlocuteur lui semble d’un esprit plus léger : à ses yeux, tout cela n’est qu’un jeu, comme il l’affirme à la page 44 : « Oh, que je m’amuse, dit-il. Il s’enfuit de nouveau. »
Chauvin évoque lui-même la sensualité :
« Vous aviez une robe noire très décolletée. (…) Il faisait chaud » page 47
Anne elle, se place progressivement sous son emprise, le vin aidant : « son penchant naissant pour l’ivresse de ce vin. », page 56, justifie cette idée.
Faut-il comprendre un autre sous-entendu, avec cette expression : « un gros bateau rouge à moteur », page 52, et qui signifierait qu’Anne voit son destin sanglant, symbolisé par ce bateau rouge comme le sang, se diriger vers elle ?
Observons à présent à quelle évolution est parvenue le récit à présent, au sein de la réexposition.
III- Réexposition- (chapitre V, VI, VII, VIII)
Nous trouvons de nouveau l’évocation implicite du « moderato cantabile », mais défini, contrairement à l’incipit du chapitre I. C’est le retour du thème A, preuve que nous sommes bien dans la réexposition.
Un vocabulaire musical est employé : on trouve les termes « mesure » page 70, « gammes » page 72, cinq fois dans le même passage.
A nouveau l’enfant refuse d’apprendre le piano, comme au chapitre I : « je voudrais plus apprendre le piano » page 81. Page 80, au chapitre V, la sonatine est de nouveau évoquée dans un contexte similaire au 1er chapitre : « La sonatine se faisait sous les mains de l’enfant – celui-ci absent- mais elle se faisait et se refaisait, portée par son indifférente maladresse jusqu’aux confins de sa puissance. »
Il y a un retour de la musicalité, par l’enfant : « il fredonnait la sonatine de Diabelli. » page 93, ou « […] il resta là, à l’abri, fredonnant. » page 95, et « L’enfant chanta une dernière fois la sonatine, puis il s’en fatigua », page 96.
D’autres évocations encore : « petite sonatine de Diabelli » page 101, « Une sonatine ? » page 101. La sonatine devient parallèle à la sensualité, elle aussi. En lien avec notre citation initiale, nous pouvons noter la mention du lien entre sensualité et lumière :
« Elle ne cessa plus de regarder sa bouche seule désormais dans la lumière restante du jour. » page 60
Chauvin essaie d’embobiner Anne : « C’est aussi faux que ce que vous m’avez dit sur cette femme ivre morte dans les bars du quartier de l’arsenal. » en page 61. La « subordination d’Anne » à Chauvin se construit : « Dépêchez-vous de parler. Inventez » page 62. C’est un ordre, elle obéit. On a encore : « les yeux encore fermés par la peur. » page 62. De tout cela nous pouvons conclure que le thème A revient en force au chapitre V, puis aux VI-VII-VIII, une place plus nette se dessine pour la sensualité. Celle-ci est le thème dominant aux chapitres qui suivent le 5e, et dans ce 5e c’est la musique qui l’est.
La sensualité est en effet omniprésente passé la chapitre V:« seins nus sous votre robe » page 86.
Les fleurs rappellent le corps féminin en permanence :« Cette fleur frôle le contour extérieur de vos seins », page 86
La sensualité n’est pas seulement évoquée par Chauvin :« Anne Desbaresdes releva ses mains vers son cou nu dans l’encolure de sa robe d’été. » page 95
Ivresse et évocation du boulevard de la mer à la page 67 associent néanmoins cette sensualité au souvenir de Chauvin, parce qu’il réside dans ce même boulevard, et seule l’ivresse ( des sens mais aussi au sens de la consommation d’alcool) fait emprunter à Anne ce chemin vers Chauvin.
« Ses seins sont de nouveau à moitié nus. » page 100, « le magnolia entre ses seins se fane tout à fait. », « bras nus, délectables, irréprochables, mais d’épouses. » page 107, ou encore « Ses seins si lourds de chaque côté de cette fleur si lourde se ressentent de sa maigreur nouvelle et lui font mal. » page 109 : les évocations sensuelles se multiplient.
La fin du roman nous intéresse en raison du mystère qu’elle suscite. Comment comprendre le « champ » mentionné page 124 ? S’agit-il d’un camp de vision, ou d’une métaphore sexuelle, qui signifierait « labourer » ?
A la même page 124 est évoqué le « départ »…De quel départ parle-t-on ?
L’analogie avec le destin de l’amante assassinée saute aux yeux : « lumière rouge », le sang, le « terme » est la « fin de sa vie. », « l’autre victime attend. » page 105. La lumière est-elle synonyme d’espoir, ou d’aperçu du paradis ?
Chauvin commande, se permet de ne pas répondre, page 122, et « le visage d’Anne Desbaresdes prit une expression terne, presque imbécile. » page 120. La relation inégale construite entre les deux personnages se maintient :« ce magnolia qu’elle écrasera entre ses seins (…) page 112. »
Plusieurs sous-entendus sexuels explicites sont notables : « Certains prétendirent que ce jour avait été chaud. » page 114. On ressent le poids du regard et de la volonté masculine : « Les hommes évitèrent encore de porter leurs yeux sur cette femme adultère. » et « -je voudrais que vous soyez morte, dit Chauvin. » page 123. Anne ne semble même pas résister, et s’y conformer complétement, puisqu’à cette dernière réplique elle répond: « C’est fait, dit Anne Desbaresdes » page 123.
On peut également se demander si l’écoute entre Anne et Chauvin, est au fond, bien réciproque, comme se le demandait déjà Jean Mistler :
« Nous avons l’impression que l’homme n’en sait pas plus long qu’Anne et que d’ailleurs elle n’écoute guère ce qu’il lui raconte.[9] »
Au fond le sentiment d’Anne approche de celui du lecteur, comme l’expliqua Dominique Aury : « Moderato cantabile amène le lecteur à devenir le témoin d’une aventure métaphysique vécue organiquement, dans l’obscurité, presque dans l’imbécilité. [10]»
On peut noter que l’instrument de musique, dans le roman, en l’occurrence le piano, n’a pas l’exclusivité de la musicalité dans le roman. En effet, lorsque l’enfant fredonne l’air de la sonatine de Diabelli, il n’est plus en train de jouer du piano, ni un quelconque autre instrument d’ailleurs. La musique dans Moderato cantabile n’est donc pas synonyme d’instrument de musique.
En écoutant les sonatines de Diabelli, mentionnées dans le roman, on constate dans chacune d’entre elles une douceur, assez joyeuse et sage. Aussi, remarquons que l’absence de précision dans le texte pour identifier précisément une sonatine parmi d’autres nous oblige à considérer que la référence à une sonatine tient plus à la musicalité générale des sonatines de Diabelli qu’à un air précis. Ce ne peut être l’effet du hasard, et nous pourrions dire, comme Madeleine Alleins : « Jamais livre ne fut plus rigoureusement construit. [11]»
Nous trouvons aussi légitime de nous demander, comme Dominique Aury : « De quel poids le destin des autres pèse-t-il sur ceux qui en sont témoins ?[12] »
On notera ce que nous pourrions nommer une dichotomie, ou une opposition entre la musicalité des sonates, d’un côté, et le désir d’Anne Desbaresdes, à savoir la mort, sur le modèle de l’inconnue assassinée qui la fascine tout au long de l’ouvrage.
Nous pouvons aussi nous demander si les hésitations de l’enfant, ou son ignorance à définir les termes, nous ne saurions trancher, est révélatrice: Peut-on y voir le reflet hésitations/ignorances d’Anne, elle aussi demeurée enfant, et qui se demande si l’enfant n’est pas réel ? L’enfant serait-il d’abord et avant tout un symbole, celui de l’ingénuité d’Anne Desbaresdes ?
La difficulté de ce personnage à dire les mots, à exprimer un souhait que l’on devine par sa fascination pour ce meurtre qui l’amène au café du port pose question.
Nous serons également amenés à nous intéresser aux diverses fonctions qu’accomplit la musique dans le récit, et que nous estimons à quatre : caractérisante, narrative, critique et esthétique.
Cependant, il nous faudra également mentionner les fonctions de la musique dans ce roman, c’est-à-dire les fonctions caractérisantes, narratives, critiques, esthétiques.
La musique est pour nous caractérisante, dans la mesure où elle définit un personnage clé du récit : L’enfant. L’enfant est comme synonyme de la sonate de Diabelli, il y est associé au point de former avec un leitmotiv : c’est un thème musical lié à une situation, en l’occurrence la présence de l’enfant qui soit joue soit fredonne la sonate. Celle-ci vient toujours à l’esprit lorsque l’enfant est mentionné. Comme fonction narrative, nous dirions que la musique est pour ainsi dire en tandem avec la sensualité (Chauvin et Anne Desbaresdes).
Aussi, mentionnons la fonction critique : la domination de la femme par l’homme. Enfin la fonction esthétique : il s’agit de rythmer un récit par une musique à la fois douce, joyeuse, l’ivresse des sens aussi. La musicalité donne comme un parfum au récit, qui renforce sa signification.
Suit un long développement, de trois chapitres, qui porte en germe le retour au double thème du chapitre 1. Le développement permet d’aboutir à une évolution des thématiques initiales. C’est lui qui va permettre de faire passer la relation sensuelle initiale, entre l’inconnu assassin et l’inconnue assassinée, à la relation Anne-Chauvin. Il ne semble pas que le thème de l’évolution musical ait réellement évolué. Cependant, on remarque une répétition précise dans le récit à ce sujet : l’enfant jouait du piano, puis y renonce au chapitre I. Il y rejoue, et abandonne de nouveau, au chapitre V. Dans les deux cas, il déclare la même chose : il ne veut plus jouer du piano. Et, plus tard, il fredonne l’air.
Tentons une conclusion : L’auteure use de la musicalité comme une donnée fondamentale de la structure du roman, présente du début à la fin du roman, et organise avec le thème de la sensualité un couple qui donne une saveur au récit, tout en rendant hommage, sans doute beaucoup plus qu’à Diabelli, à la musique.
[1] Giulia Spagni. Entre les silences et les éléments sonores dans Moderato Cantabile, p 13, La Musica et India Song de Marguerite Duras. Littératures. 2018. ffdumas-01869540
[2] Maurice Nadeau, France Observateur, 6-3-58
[3] Claude Roy, Libération, le 01/03/58
[4] Collins Music Encyclopedia (1959: William Collins & Co. Ltd.): article sonatine
[5] Giulia Spagni. Entre les silences et les éléments sonores dans Moderato Cantabile, La Musica et India Song de Marguerite Duras, p 19. Littératures. 2018. ffdumas-01869540f
[6] Claude Delmont dans l’heure de Paris, 20/02/58.
[7] Giulia Spagni. Entre les silences et les éléments sonores dans Moderato Cantabile, La Musica et India Song de Marguerite Duras, p 20. Littératures. 2018. ffdumas-01869540f
[8] Claude Mauriac, Le Figaro, 12-3-58
[9] Jean Mistler, L’Aurore, 12-3-58
[10] Dominique Aury, La N.N.R.F., 01/06/58.
[11] Madeleine Alleins, le 01/04/58
[12] Dominique Aury, La Nouvelle revue Française, juin 1958.