Un ancien maître ayant concilié nationalisme et universalisme. Publié par voxnr.fr le 19/11/23.
Blanqui, nationaliste et universaliste
Nationaliste et universaliste ? Impossible, tranche sans réfléchir beaucoup, le réactionnaire.
Embêtons un peu ce dernier et intéressons-nous aux idées d’Auguste Blanqui, qui a réussi, et c’est là en apparence un paradoxe, à être à la fois un défenseur de l’intérêt de son pays et dans le même temps un fervent défenseur de l’intérêt commun de l’humanité.
La première question à nous poser est sans doute la suivante : Pour Blanqui, qu’est-ce que la France ? C’est la terre d’une « race aimable, brave, légère, mais héroïque, capable de s’élever jusqu’à la révolution qui regénérera le monde. » C’est cette race qu’il défendit contre la « race germanique », au moment du désastre de 1870, et contre les « Prussiens de l’intérieur », les bourgeois, vus par lui comme des parasites du corps social.
Alexandre Zévaès, historien, militant socialiste et avocat pénaliste au parcours assez original, a pu brosser le portrait de Blanqui, et cerner la richesse de ses idées quant à ce qu’on nomme parfois « la question nationale » :
« Blanqui est aussi résolument, aussi profondément patriote qu’il est socialiste et républicain. Il l’est quand il combat la Restauration, il l’est en 1848 : Il l’est aux heures douloureuses de 1870. Et le double sentiment de la démocratie et du socialisme procède chez lui comme chez les républicains et es socialistes de 1840-1848, de la Révolution française. »
Si l’on en croit Maurice Dommanget, auteur d’un ouvrage précieux, Les idées politiques et sociales d’Auguste Blanqui , Blanqui « fait de la France démocratique le champion de la libération universelle. »
Il n’y a en fait aucune différence pour lui entre cause de la France et cause de la Révolution sociale universelle. La France y tient d’ailleurs un rôle précis : « Quand la France recule, l’Europe se débande. »
Pour Dommanget encore, « l’opposition de Blanqui à tous les régimes procède au moins autant d’un sentiment de fierté nationale que la passion socialiste-révolutionnaire. Il est bien inutile de revenir là-dessus : chaque étape de sa vie en est comme l’illustration. »
Plus concrètement, Blanqui sembla concilier des désirs contraires, notamment pour la France. À l’inverse d’un Barbès, il soutint ouvertement la défaite de l’armée française alors engagée lors de la guerre de Crimée (1853-1856). Mais pourquoi ? Manifestement par souhait de voir Napoléon III, qui avait décidé de l’expédition, échouer. Il ne s’agirait donc pas tant de souhaiter la défaite de la France que de « Badinguet » comme en ce temps on surveillait l’empereur, qu’il haïssait.
Il connut aussi l’époque de l’unité de l’Italie, et ne partagea pas l’enthousiasme de certains révolutionnaires français pour l’épopée de Garibaldi, lequel s’activa avec zèle à unifier la presque totalité de la péninsule italienne. Par son jugement sur cette révolution, on peut commencer à saisir ce à quoi ressemblerait une vraie lutte de libération nationale pour Blanqui : l’indépendance italienne n’a d’importance positive que si elle est en mesure de « fonder en même temps le régime d’égalité et de fraternité. »
Mazzini, autre grand acteur avec Cavour et Garibaldi de l’unité italienne, avait aux yeux de Blanqui non seulement la volonté de rassembler pour l’Italie de demain « tous les éléments de force et d’oppression des gouvernements actuels » (autrement dit une marine, un budget et une armée permanente, ce dont Blanqui ne voulait pas même pour la France) mais il affirme avoir perçu une détestation du révolutionnaire italien pour la France. Il reproche à beaucoup de nationalistes en pleine lutte d’indépendance de fleurter avec ce qu’on pourrait nommer la « Réaction » : ainsi Kossuth, célèbre nationaliste hongrois qui lui était contemporain, n’incarnait à ses yeux qu’un partisan de l’alliance de l’autel et de l’aristocratie, autrement dit de l’un des visages du « Mal absolu » dans la psychologie blanquiste.
Répondant à un admirateur de Mazzini, Blanqui écrivit :
« Est-ce que nous, cosmopolites, nous devons nous sacrifier de gaîté de cœur, dans l’intérêt d’une nationalité quelconque, exclusive, étroite, hostile même à notre propre pays ? »
Notons que Blanqui semble bien utiliser le terme « cosmopolite dans son sens noble, celui de passionné pour les cultures étrangères, et non au sens, plus moderne, d’apatride. Blanqui n’a jamais souhaité, contrairement à Lénine, une fusion des nations, ou leur disparition. Ainsi, il se montre favorable à ce qu’il nomme une « fédération des nations », afin d’empêcher, autant que faire se peut, de nouvelles guerres entre peuples oppressés par ce que le vocabulaire marxiste désigne souvent par le terme de « grand capital » :
« Les peuples, frères par le travail et par la souffrance, s’embrassent à la dérobée en pleurant. »
La guerre, qu’il estime néanmoins parfois être une « nécessité inéluctable », devra être bannie dans l’Europe qui naîtra un siècle après lui, celle de la « Fédération des Nations ». Chaque pays, devenu une « fédération nationale », sera une composante de cette grande fédération européenne.
Qui devra ouvrir la voie vers cette fédération ? La France, bien sûr. Et pourquoi ? Surtout parce qu’au moment où il écrit ces lignes, « elle a réglé leurs comptes aux rois, aux nobles, aux prêtres et qu’elle a commencé à les régler aux bourgeois. »
Ainsi, Blanqui a toujours vu la France comme une société à l’avant-garde d’une révolution mondiale, celle de la justice sociale, ce qui a ses yeux n’a jamais voulu signifier son abaissement, ou un quelconque aveuglement face à un autre pouvoir, et encore moins un prétexte pour cacher la défense d’un intérêt de classe.
Les leçons d’un Blanqui nous sont encore utiles pour nous, gens du XXIe siècle. Le nationalisme réactionnaire que vilipende Blanqui est, à y bien regarder, proche de celui d’un Zemmour ou d’un Conversano. A l’inverse, celui qu’il défend, et qui semble bien constituer une bouée de sauvetage lorsque l’universalisme se transforme en argumentaire visant à défendre les allogènes de la finance, du sionisme et du grand patronat français, c’est celui défendu historiquement par le nationalisme-révolutionnaire.
Quoi qu’il en soi, ce n’est pas sans volonté ou sans force que sera libérée l’Europe. Méditons une dernière leçon, valable en tout temps, qu’il adressa à ses disciples de son vivant, et que nous pouvons faire nôtre :
« La force est la seule garantie de la liberté. »
Vincent Téma, le 18/11/23. (vincentdetema@gmail.com)