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Religiosités berbères et Islam

Plaidoyer pour préserver l'islam berbère du salafisme. Publication originelle sur le site lecerclemoncefiste.hautetfort.com. 

Religiosités berbères et Islam :

(pour lecerclemoncefiste.hautefort.com)

 

 

La spiritualité musulmane propre à l’Afrique du Nord est le résultat d’un syncrétisme, d’une adaptation de l’Islam au contexte berbère. Des influences orientales, juives, chrétiennes ou même polythéistes vont se mêler pour donner à la religiosité nord-africaine son visage actuel.

La spiritualité berbère originelle n’avait pourtant que très peu de de points communs avec les monothéismes abrahamiques qui se mêleront à elles, dans sa cosmogonie notamment. On notera d’étranges similitudes avec le panthéon grec : Tallest, l’obscurité primordiale, ressemble au Chaos hellénique. Berius, le dieu démiurge, ressemblerait à Zeus. Tamurt et Ajenna, respectivement la Terre et le Ciel, ont fondé le Soleil, Tafuyt, et la Lune, Ayur. Chez les Grecs, la Lune et le Soleil, jumeaux, sont les descendants de l’union de Gaia, la Terre, et du ciel, Ouranos…

Le polythéisme de nos ancêtres resta sans concurrent sérieux jusqu’aux débuts de l’ère chrétienne, demeurant ainsi largement majoritaire. Il y eut quelques traces de syncrétisme avec le panthéon carthaginois ou romain. Ces mélanges disparaîtront avec l’arrivée du christianisme et surtout avec le statut de religion unique de l’empire romain que la foi chrétienne aura,  sur décision de l’empereur romain Théodose en 394.  

Une influence beaucoup plus durable fut celle du judaïsme, qui dès le IIe siècle ap J.-C. se diffuse en Afrique du Nord. Avec la chute de l’Empire romain et l’officialisation du christianisme comme religion d’Etat exclusive, ce judaïsme décline et s’implante dans les montagnes et dans le Sahara. Le christianisme lui cohabitera des siècles avec le judaïsme et le polythéisme traditionnel, demeuré majoritaire au Maroc.  

La diffusion de l’islam dans les premières années du VIIIe siècle amènera à l’éradication, assez superficielle, du polythéisme, à la marginalisation progressive du judaïsme, et au déclin du christianisme (qui ne s’éteindra définitivement qu’au XIIe siècle).

Le résultat de ces rencontres mêlées tensions et de persécutions fut la naissance de cultures locales mélangeant des influences très différentes. La région de Figuig au Maroc donne quelques savoureux exemples, notamment chez les saints hommes. Ainsi, Sidi Samharouch, juge des djinns, présenté au Moyen Age comme un compagnon du Prophète, malgré le décalage historique qui le fait vivre au XIIe siècle. Ce saint homme ne serait que le substitut d’une divinité berbère de la fécondité à qui l’on rendait un culte dans les montagnes du Haut-Atlas.

De la même manière, Sidna Sliman (notre Seigneur Salomon) est tout simplement le roi d’Israël Salomon. Sidna Sliman est considéré comme un roi des diables (qui le redoutent) et comme un prophète. Plus surprenant : Daqyous, nom arabisé de l’empereur romain Decius, très populaire au cours de son règne, passant ainsi par ce surnom à la postérité dans la mémoire populaire.

Nombre de prières adressées aux dieux berbères du passé furent conservées après la conversion massive des populations d’Afrique du Nord à l’islam, pour invoquer la pluie, le vent, la lumière du Soleil pour sauver les récoltes. La difficulté s’accentue lorsqu’on songe au fait que les divinités berbères ont, dans certaines campagnes, « cohabité » avec la foi du Dieu Unique. Le célèbre géographe et historien El Bekri racontera par exemple comment il avait pu constater, quatre siècles après l’arrivée de la religion du Prophète (que Dieu lui accorde grâce et salut), que plusieurs tribus de la Tripolitaine, dont les Houara,  élevaient encore des idoles en pierre à l’effigie de Gurzil, dieu de la Guerre et du Tonnerre de leurs ancêtres, à qui ils faisaient des sacrifices pour la guérison de leurs troupeaux.

On trouve encore traces de certains cultes anciens, à l’image de celui de l’eau et du feu, dans les jeux d’enfants de certaines campagnes de Figuig : c’est sous cette forme altérée qu’ils survécurent, pour éviter l’accusation de paganisme.

Ce sont les traditions populaires et les témoignages non scripturaux qui sont, selon pour le spécialiste de la langue berbère Hassane Benamara, les porteurs et les piliers de la culture maghrébine profonde.

De nos jours, les attaques contre la religiosité populaire sont le fait  des wahabites, dogmatiques haineux qui rejettent toute tradition musulmane qui ne trouve pas sa source dans la lecture littérale des sources les plus sacrées de l’islam.

Mais les émigrations, l’indifférence et l’urbanisation galopante sont également un danger pour les ces religiosités traditionnelles, et par là même d’une certaine conception de l’islam, fruit d’une lente maturation et héritage précieux de nos ancêtres.

 

Vincent Téma, le 14/01/2023.

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