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Zemmour et le Pen n'aiment pas le peuple

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Zemmour et le Pen n’aiment pas le peuple

(Publié par la revue Rébellion, n°96)

 

Peut-on prétendre aimer les Français et faire l’impasse de la question sociale ? Mieux : Peut-on décemment prétendre défendre l’intérêt des Français en méprisant l’idée même de justice sociale ?

 

 

Peut-on prétendre aimer les Français et faire l’impasse de la question sociale ? Mieux :

Peut-on décemment prétendre défendre l’intérêt des Français en méprisant l’idée même

de justice sociale ?

 

Zemmour ou l’ami du Grand Capital

Quelques jours avant le 1 er tour des élections législatives de 2022, le candidat à la députation Éric Zemmour menait campagne dans sa circonscription, dans le Var.

Interrogé par un journaliste du Huffington Post, qui lui demandait la différence de fond entre lui et le candidat local du RN, celui-ci répondit avec un sourire amusé en visant plus spécifiquement Marine Le Pen: « Je ne suis pas socialiste ». Très intéressant propos émanant de l’homme politique. Celui-ci révèle sans le vouloir qu’il n’a soit jamais lu les penseurs socialistes, soit qu’il n’a jamais lu le programme économique de Marine le Pen. Ou, plus vraisemblablement, les deux…

Cette affirmation n’a pour autant rien d’étonnant. Zemmour, qui s’est un jour décrit comme « gaulliste social », ne cultive, et ce depuis toujours, que peu d’intérêt pour la question sociale. Journaliste depuis 1996 au Figaro, organe de propagande et d’expression de la bourgeoisie d’affaires, conseillé par un banquier de la JP Morgan, que pouvait-on attendre de lui ?

Zemmour, homme de 63 ans, qui se disait de gauche jusqu’à l’affaire du voile de Créteil, ne sait pas ce qui distingue Marine le Pen du socialisme. Ce n’est donc pas par manque de temps, mais plutôt par manque d’intérêt qu’il ne maîtrise pas un sujet qui visiblement ne l’a jamais passionné Zemmour a lui-même affirmé dans une entrevue avec plusieurs grands patrons français : « Ma présidence ne sera pas la révolution ». On peut aller plus loin : c’est le maintien, mieux, la continuité du statu quo ante macrum.

Zemmour est alors le candidat du grand capital ? Plus concrètement, que propose le sieur Zemmour sur les sujets économiques et sociaux sur lesquels il avouait encore, durant la campagne présidentielle, ses « faiblesses » ?

La poignée de mesures dites sociales sont principalement prises contre les migrants, uniques responsables de la dette nationale, du déficit de la sécurité sociale pour lui …

L’ennemi pour Zemmour c’est le migrant pauvre. Parce qu’il est migrant, mais aussi un peu, et même beaucoup, parce qu’il est pauvre. Il est sûr que s’attaquer à lui est moins

dangereux que de viser plus haut. Il ne remet pas en cause la globalisation capitaliste

qui produit les phénomènes migratoires. La baisse de la CSG dont il promit la réduction pour les travailleurs et retraités modestes sera permise par les suppressions de droits aux étrangers, même ceux qui travaillent.

 

Problème : La CSG a notamment pour utilité de financer partiellement l’assurance-chômage. Le chômeur, par nature fainéant et inutile, voilà le premier ennemi. Zemmour veut aussi supprimer les droits de mutation bancaire : ce qui indirectement revient à encourager les crédits auprès de banquiers (recours obligatoire pour beaucoup de Français souhaitant devenir propriétaires) que vous payez pour qu’ils vous prêtent, et qui décident de fait si vous avez le droit de posséder un « chez vous » dans votre vie.

La suppression des droits de succession, autrement dit autoriser des gens à bénéficier de biens et de moyens pour lesquels ils n’ont pas travaillé, est une mesure bienvenue pour bien des Français fortunés. Globalement, c’est un bon moyen de conserver les inégalités sociales car les classes les plus populaires ne peuvent plus rien transmettre à leurs héritiers…

La suppression de la redevance audiovisuelle mérite réflexion : ne plus donner 13,5euros par mois pour une télévision dont on peut parfaitement se passer sans que cela ne gêne notre existence serait une bonne idée sur le papier. Mais la fin d’un service public audiovisuel serait aussi la porte ouverte à une concentration des outils d’informations aux mains du privée, c’est à dire à des groupes financiers dont Éric

Zemmour est un ancien salarié et un ami fidèle. C’est surtout renoncer à proposer un autre message que celui des régies publicitaires. Même si l’écoute d’une matinale de France Inter est un calvaire, laisser cela aux grands groupes de l’information est le meilleur moyen (et un des plus pratiques) de renoncer à bâtir une alternative à leur domination dans le domaine des médias. C’est offrir nos écrans plats aux Bolloré, Drahi, Niel ou Nedjar.

Autre mesure : Défiscaliser les primes de participation, traduit en bon français cela revient à payer le salarié pour lui faire oublier qu’en tant que cocréateur de la richesse de l’entreprise, il a droit à une part de la richesse créée. On ne lui concédera qu’une« prime ». Cela revient à une reconnaissance du patronat et des actionnaires comme légitimes et uniques propriétaires de la production, eux qui par générosité vont faire un geste pour récompenser le bon et docile salarié de son zèle à les enrichir de son travail.

Les vrais amis d’Éric, le nageur de l’Hôtel du Ritz, sont les entreprises, surtout les plus grosses. Entre deux sandwichs au homard, Zemmour s’était décidé à baisser leurs impôts de 36 milliards d’euros. Zemmour avait livré sa philosophie : « Moins d’impôts pour les entreprises, contre un peu moins d’aide ». Effectivement, puisque les entreprises avec pareille baisse d’impôts n’auront plus besoin de ces aides.

La lutte contre la fraude sociale doit être « sans merci ». En revanche la lutte contre la fraude fiscale doit faire l’objet « d’une limitation des possibilités ». Et encore, seulement pour les non-résidents. Un vol commis par des pauvres est intolérable. Celui commis par des riches un peu aussi, mais pas trop. Les nuances de vocabulaire importent…

On pouvait en définitive, conclure sur l’intérêt de Zemmour quant à la question sociale en se remémorant le nom de la ville où il a su réaliser son meilleur score à l’élection présidentielle : St-Tropez. Comme chacun le sait, c’est un ghetto où les conditions de vie sont déplorables, où de pauvres hères vivent dans des boats peoples amarrés au port dans la crainte des lendemains.

 

Marine le Pen, ou la fausse candidate du peuple.

 

Jean-Marie, dans les années 1980, se voulait « le Reagan français ». 20 ans plus tard, il avait changé d’avis. Ou plutôt, c’est l’époque qui a changé, comme il l’affirmera plus tard. Mais était-ce vraiment un changement ? Affirme-t-on quelque chose de différent parce que le monde change, ou plus prosaïquement, peut-on dire l’inverse de ce qu’on a vingt ans plus tôt puisqu’hier comme aujourd’hui, on n’a pas plus de convictions que cela ?

Les seuls à avoir eu, dans toute l’histoire ancienne du FN, un intérêt profond, existentiel de la question sociale (au point de refuser de parler de social, terme jugé réactionnaire et paternaliste, au profit de celui de socialiste) furent les nationalistes-révolutionnaires.

Rassemblés à cette époque dans les groupes nationalistes-révolutionnaires de base et inspirés par Ferdinand Lasalle, Charles Fourier et Gustave Tridon, les NR seront expulsés du mouvement un an après l’assassinat de leur leader François Duprat. C’était en 1979.

Trente ans plus tard, les choses ont-elles réellement changé ? Jean-Marie est parti, et l’énarque Philippot a fait son entrée en scène, en tant que principal conseiller d’une Marine le Pen qui souhaite « parler davantage de social ». Le fond idéologique du parti est revisité, sous la férule du clan Philippot, où se distingueront notamment le comédien Franck De Lapersonne, Sophie Montel et Damien Philippot, frère du nouveau grand manitou frontiste.

Il s’agissait surtout de développer, dans l’idée de la sortie de l’UE et surtout de l’euro, les avantages pour les entreprises promis par le retour au franc et de l’Etat dans la vie économique de la Nation (manifesté au besoin par des nationalisations). Cette orientation devait être une source de compétitivité et d’emploi boostant la consommation. Voilà l’essentiel. Mais après l’échec de 2017, Monsieur Frexit fut mis à la porte de façon assez peu aimable, emportant avec lui bien peu de cadres. Outre l’intérêt faible pour la ligne Philippot au sein du RN que prouve cette micro-scission, ce fut aussi la cause de la disparition de l’ébauche d’un programme social au RN.

Pour autant le vote frontiste progressera : notamment par l’abandon du thème de la sortie de l’euro, permettant de ne plus effaroucher les épargnants d’un pays qui vieillit, apeurés à l’idée de voir leur épargne perdre sa valeur avec le retour au franc. Mais aussi et surtout à cause de l’insécurité grandissante.

Néanmoins pour tenter de conserver un électorat qu’elle craignait sans doute un peu devoir rejoindre le Zemmouristan, le Pen tenta d’accentuer sa différence en parlant social : baisse de la TVA, pas d’impôt sur le revenu jusqu’à 30 ans, pas d’impôt sur les sociétés pendant 5 ans pour les nouveaux entrepreneurs…

Outre que ces deux dernières mesures vont surtout bénéficier aux classes moyennes supérieures et à la bourgeoise entrepreneuriale étant donné la cassure de l’ascenseur social (ce qui ne fait pas vraiment « programme social »), la baisse de la TVA, certes drastique (de 20% à 5,5%) vise davantage à soulager les Français après l’épisode Covid plutôt qu’à envisager une appropriation nationale, par et pour les travailleurs français de toutes classes sociales, de la richesse nationale. Autrement dit, on vous offre un morceau de pain pour supporter la vie sans trop regimber.

On a pu noter dans les dernières législatives un report important de voix LREM vers le RN, en cas de duel RN-NUPES. Le RN, qui n’a obtenu ses 89 députés que sur la base de 7% des inscrits sur les listes électorales, est en fait en voix de conformisation bourgeoise. Les appels discrets de divers ministres et élus macronistes aux voix du RN

Pour les prochains votes à l’Assemblée, l’absence de refus catégorique de la part de Macron, au moins verbalement, d’intégrer le RN dans un gouvernement (position inimaginable vingt ans plus tôt) et surtout la réponse de Le Pen à l’idée de participer un gouvernement d’union nationale avec Macron : « ce n’est pas à l’ordre du jour »,montrent la faible intensité de l’opposition avec le Président de la République et désintérêts qu’il défend.

C’est plus qu’étonnant venant d’un parti qui avait fait de la lutte contre Macron sa raison d’être et son thème principal de campagne. Mais est-ce si étonnant que cela ? En 1986,

Jean-Marie le Pen ne souhaitait-il pas devenir ministre de la Défense de Jacques Chirac ? Le RN n’est plus le parti de l’opposition nationale, si tenté qu’il ne le fut jamais autrement qu’en mots, mais le parti des rentiers de la colère populaire, à l’image de la dame aux chats qui le gouverne.

Le vote massif de députés LREM en faveur de candidats RN pour les vice-présidences de l’Assemblée nationale est la preuve de l’acceptation tacite de ce parti, de sa reconnaissance, mieux de sa légitimité à représenter les Français de la part du bloc bourgeois. C’eut été inimaginable au temps de Jean-Marie.

 

Quelles leçons en tirer ?

Au fond Le RN comme Reconquête sont d’abord des partis d’ordre, des partis de l ‘Ordre. Rien de plus. La justice sociale les dépasse. Certains pourraient affirmer que toutes ces mesures proposées par les deux candidats soulageront un peu les Français. On peut répondre à cela d’abord que ce n’est que dans une bien faible mesure, et surtout, et c’est en cela que réside leur perversité profonde, elles habituent les Français à se serrer la ceinture, à accepter la précarité et la charité d’Etat dans un pays où 15% des Français vivent sous le seuil de pauvreté…

 

La promesse zemmourienne de revaloriser les petites pensions de retraite jusqu’à 50euros par mois : voilà l’exemple parfait d’aumône d’Etat, de mépris social et de classe visant non pas à permettre l’accession à la propriété populaire, à la dignité par le travail ou à permettre une vie décente à nos aînés : non, c’est de l’aumône publique, qui certes habitue à tout réclamer et tout attendre de l’Etat, mais qui surtout préserve toutes les iniquités déjà en cours, de la spéculation sur le travail d’autrui, l’enrichissement d’oisifs, jusqu’à la protection de la propriété bourgeoise de droit divin.

Un souvenir personnel pour conclure : dès lors qu’il s’agissait de parler pouvoir d’achat, de monnaie, de souveraineté, c’était silence complet dans les tribunes du congrès de Reims, où Le Pen tenait un de ses derniers grands meetings à la veille des présidentielles tout juste achevées. Les militants ne voulaient entendre parler que d’immigration. « On est chez nous » ne vaut que dans ce sens. Jamais dans l’idée de faire fructifier ou tout simplement de s’approprier réellement ce « chez nous ».

 

Vincent Téma, le 12/07/2022

 

 

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