Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Chroniq Litté n°3: Cyrano, ou l'esprit français

Cyrano de Bergerac, c'est l'âme de l'élite française en un seul personnage. 

Cyrano, ou le panache malheureux

 

 

 

Un critique littéraire a pu qualifier le personnage de Cyrano de Bergerac de "raté".

Définissons d’abord le terme de raté : Le raté, c’est ce qui ou celui qui échoue, dans une démarche quelconque qu’il a initiée.

Le terme de tragédie ne peut pas être compris au sens du XVIIe siècle, assurément : ni l’unité de temps (le dernier acte a lieu quinze ans après le quatrième), ni celle de lieu (la pièce a lieu dans plusieurs endroits de Paris, puis devant Arras) ne sont respectées dans Cyrano de Bergerac. De plus, la plupart des personnages ne sont pas de rang élevé, condition sine qua non de toute tragédie : Cyrano n’appartient qu’à la petite noblesse, et en effet comme le rappelle le vicomte de Valvert, Cyrano« n’a même pas de gants » (Acte I, scène IV).

Le personnage est victime d’une fatalité sur laquelle il n’a aucune prise, et qui est à l’origine de son malheur. On a donc bien là un des ingrédients de la tragédie.

Pour Patrick Besnier des « angoisses et incertitudes » se dégagent de la pièce, tout comme des« morbidités et ambiguïtés fin de siècle ». Ces angoisses et morbidités ont pour origine, c’est là notre analyse, un échec.

Cyrano est bien sûr le premier de ces personnages à connaître un échec, et sur plusieurs plans : malheureux en amour, puisqu’il ne peut pas réussir à se faire aimer de Roxane, malheureux car n’ayant pas pu obtenir le succès auquel son talent lui donnait droit, puisqu’il n’a pu déroger à la règle selon laquelle un poète de son temps devait compter sur l’appui d’un protecteur. Il y a aussi plusieurs échecs parallèles : il a échoué à aider Christian à se faire aimer de Roxane, lui qui écrivait à sa place.

Il n’est pas le seul personnage à ne pas réussir dans ses entreprises, et c’est en ce sens que la pièce révèle de multiples échecs : Christian aussi a échoué, d’abord à trouver les mots lorsqu’il s’adresse à Roxane, à se faire aimer pour ce qu’il est et non pour ce qu’il n’a pas écrit, et dont le suicide est la preuve de son impuissance.

Il y a des échecs plus ponctuels : l’échec du vicomte de Valvert à vaincre en esprit et à l’épée Cyrano, celui de Le Bret à tempérer les ardeurs de Cyrano (« Tu te mets sur les bras, vraiment, trop d’ennemis » (Acte I scène V),cause tout à fait probable de la grave blessure qui lui coûtera la vie à Cyrano, ou encore l’échec de De Guiche à se faire aimer de Roxane, l’échec de Montfleury à faire apprécier son art par Cyrano, ou encore l’échec de De Guiche à « recruter » Cyrano.

Pourtant le qualificatif d’« héroïco-comique » a bel et bien été employé pour  qualifier la pièce. L’humour et les victoires de Cyrano y sont pour beaucoup : la tirade du nez est d’une ironie mordante, Cyrano est si habile à l’épée qui ridiculise un adversaire loin d’être à son niveau.

 

 Il y a une différence fondamentale entre le Cyrano public, celui truculent, talentueux par la plume et bagarreur, et le Cyrano privé, celui qui par exemple qui confie à le Bret son désespoir amoureux. 

Besnier ajoute que cette pièce est un « mélange de jubilation et d’angoisse ».

La jubilation est pour nous au service du sentiment de « ratage » émanant de cette pièce. En effet, loin de vouloir dissimuler la portée mélancolique de la pièce, les réussites parfois jubilatoires de Cyrano servent à renforcer l’angoisse profonde qui en émane, elle-même issue des déceptions des personnages.

Notre objectif sera d’essayer de voir en quoi les traits d’humour de la pièce n’empêchent pas celle-ci d’être dominée par un sentiment d’insuccès et de douleur morale, et permettent même de renforcer la compassion du spectateur pour le personnage principal. En effet, un individu sans talent et promis au malheur serait-il capable de nous toucher autant que Cyrano, lui qui a tout pour plaire, à un nez près ? L’injustice de ce sort peut nous révolter précisément parce que Cyrano suscite la pitié, lui qui aurait pu tout réussir, et qui se considère pourtant, comme nous le verrons, comme un authentique raté.

Il nous faut nous demander si Cyrano de Bergerac use du comique et du panache pour mieux exprimer l’atmosphère d’angoisse morbide, de ratage triste qui la trouble. Quoi de mieux pour exprimer la mélancolie qu’un héros qui a tant d’atouts pour réussir et qui va pourtant échouer piteusement ? La hauteur de la chute entre ce que le héros aurait pu être et ce qu’il fut en réalité est en ce sens intéressant. L’assombrissement progressif de la pièce au fil de l’intrigue nous permet aussi de mieux cerner le personnage de Cyrano

Les deux premiers actes sont allègres, tonitruants, pleins de vie, volontiers cocasses par moment, leur rythme est rapide. Cyrano montre son talent comme son malheur.

Les trois derniers donnent de plus en plus de place à la mélancolie, motivée par l’impossibilité pour Cyrano d’atteindre ses objectifs, parfois, nous y reviendrons, pour des raisons indépendantes de sa personne.

Le dernier acte manifeste un statisme qui contraste avec l’agitation frénétique du premier, comme si le revêtement jubilatoire que Rostand avait choisi pour présenter le personnage de Cyrano s’estompait enfin pour livrer au spectateur l’âme blessée mise à nue du personnage, après avoir aidé à mieux le saisir.

 

Aussi, la problématique qui nous semble la plus pertinente est pour nous la suivante : En quoi les qualités et les talents de Cyrano permettent-elles d’élaborer la mélancholie et au final l’échec total, littéraire comme amoureux, du personnage principal de la pièce ?

 Nous verrons tout d’abord en quoi la pièce présente un personnage talentueux et plein de qualité (I), puis en quoi ces qualités permettent de mieux comprendre la tristesse de son sort qui ne peut qu’être malheureux (II).

 

I-Cyrano, un poète alliant virtuosité et panache, en apparence loin du malheur…

 

Elégant par sa plume et redoutable par son épée, Cyrano a tout pour réussir.

 

  • Un poète accompli

 

Cyrano n’en est pas à sa première création littéraire lorsqu’il improvise une ballade en face du vicomte de Valvert : le Bret nous révèle qu’il a écrit (au moins) La Mort d’Agrippine. Il jouit déjà, avant même le début de la pièce, d’une réputation de poète (peut-être même de poète scandaleux, si la pièce a subi le même sort que celle véritablement écrite par Savinien, qui fut interdite) que sa ballade improvisée devant Valvert va venir renforcer. Le ridicule de Valvert, incapable d’avancer autre chose qu’une banalité quant au nez de Cyrano, et qui doit souffrir d’un déluge de mots qui l’humilient chacun, met les rieurs du côté de Cyrano et renforcent son prestige (acte I, scène IV). « C’est un héros », dira une dame témoin de la scène.

Le succès qui est le sien est d’ailleurs remarqué: Richelieu lui-même, l’homme le plus puissant du royaume après le roi, a été « amusé », si on en croit de Guiche, par le talent de Cyrano. Lorsque De Guiche vient recruter Cyrano, la consécration est à portée de main : De Guiche est le neveu du cardinal, et si Cyrano avait accepté son offre il aurait ainsi, au moins indirectement, bénéficié du soutien et de la protection du personnage le plus éminent qui soit : de quoi faire mourir de jalousie tous les poètes de son temps.

Mais Cyrano va refuser, puisque si la reconnaissance de son talent peut bien le faire rougir, l’idée d’un protecteur lui est parfaitement insupportable, lui qui s’estime « empanaché d’indépendance et de franchise » (Acte I, scène IV)

L’évidence de son talent peut aussi se manifester loin du public, car Cyrano est capable d’improvisations stupéfiantes, c’est la tirade du « non merci », Acte II scène VIII).

Cyrano va ensuite faire bénéficier à Christian de l’élégance de sa plume : écrivant des lettres signées au nom de Christian il parvient, comme l’affirme Roxane, à faire tomber amoureuse cette dernière de ses propres lignes.

Cyrano a quoiqu’il en soit une imagination très vive : il est capable d’inventer, pour faire perdre un quart d’heure à De Guiche, tout un récit selon lequel il viendrait de la Lune, (acte III, scène XII)

 

 

  • Un combattant méritoire

 

Cyrano parvient à allier poésie et bravoure physique, notamment lorsqu’il prétend avoir des « fourmis dans son épée » (Acte I, scène IV) et qu’il compose « à l’improvisade » une ballade, tout en corrigeant Valvert.

Cyrano n’est pas qu’une plume, c’est aussi un fleuret. C’est par lui qu’il peut manifester son panache certes mais aussi d’autres qualités, comme la loyauté en amitié. Cette loyauté en amitié se révèle chez lui par exemple lorsqu’il accepte d’affronter, à lui tout seul, une centaine de sbires venus s’en prendre à son ami Lignières. Cyrano ne veut d’ailleurs pas d’aide : « et vous messieurs, en me voyant charger, ne me secondez pas, quel que soit le danger. » (Acte I, scène VII).

Lorsqu’on lui demande s’il est protégé par un « patron » », il répond qu’il n’a qu’une « protectrice », et lève son épée. C’est une bravade adressée à tous ceux qui veulent de lui qu’il laisse jouer Montfleury, dont de Guiche qui s’écrit « mais à la fin il nous ennuie ! » ( Acte I, scène IV).

Aussi il faut aussi mentionner son affrontement avec le vicomte de Valvert. Cyrano ose tirer son épée pour corriger un adversaire dont le rang social est supérieur au sien, devant plusieurs grands seigneurs dont il interrompt le divertissement. Et puis s’en prendre à Montfleury, protégé de ces beaux seigneurs, n’est-il pas déjà un acte de courage évident ?

Il ne faut pas non plus négliger le siège d’Arras : De Guiche a donné aux cadets de Gascogne, dont les rangs sont décimés, à défendre une position intenable, et pourtant Cyrano se jette sur les Espagnols, en nette infériorité numérique. Il est un combattant émérite qui survit à la bataille, alors même que ses chances d’en revenir vivant étaient minces.

Juste avant de disparaître dans la mêlée à la fin de l’acte IV (scène X), Cyrano récite encore la présentation des Cadets de Gascogne qu’il avait pu faire à De Guiche, alors même que de tous côtés les balles fusent.

Lorsque Cyrano, (Acte V scène VI), veut encore affronter ses « démons » ( les « Compromis, Préjugés, Lâchetés ») il ose, à sa façon, affronter des entités bien trop puissantes pour pouvoir les vaincre à lui seul, et il ne peut que frapper dans le vide. Mais est-ce que ce n’est pas une noble manière de montrer son courage, en acceptant un combat à mort (puisque Cyrano va mourir) perdu d’avance ?

 

Mais c’est Cyrano lui-même qui va nous donner les éléments nécessaires pour comprendre le ressort véritable de la pièce : Tout Paris connaît son succès face à Valvert, sa virtuosité poétique et sa dextérité, même Roxane l’a vu s’illustrer, mais lui, au fond, n’en a que faire. Seul l’amour de Roxane l’intéresse, et rien d’autre. Et son désespoir d’être aimé tout autant : « Mon ami j’ai de mauvaises heures à me sentir si laid, parfois, tout seul… » (Acte I, scène V)

Nous pouvons en comprendre que la bravade quant à son nez, lui qui prétendait s’enorgueillir de « pareille appendice » était un mensonge, car il souffre en réalité de sa disgrâce physique.

 En ce sens, les succès qu’il peut obtenir ne peuvent en aucun cas compenser la tristesse et le sentiment d’échec qui habitent le personnage durant toute la pièce, et c’est même pire : elles permettent d’envisager la chute entre ce qu’aurait pu être Cyrano et ce qu’il fut vraiment.

 

 

II- …et un homme à jamais meurtri qui ne peut échapper à son destin

 

Le nez de Cyrano est un défaut pour sa vie sentimentale, mais son refus de courber l’échine devant les puissants est aussi une des causes de sa souffrance.

 

A-Le choix d’être libre

 

La charge contre Montfleury permet de comprendre la position de Cyrano, celle de l’homme libre qui ne craint pas de s’attaquer aux acteurs en vue de l’hôtel de Bourgogne. Mais c’est peut-être aussi une attaque, symboliquement, contre l’esprit de courtisanerie.

Cyrano ne peut pleinement épanouir son talent, car il refuse de « prendre un patron » (Acte II, scène VIII) Ainsi, à la fin de la pièce, c’est Molière, qui lui eut le plus prestigieux de tous les protecteurs, le roi Louis XIV, qui devint célèbre, en reprenant une expression de Cyrano, qui lui comme le rappelle Le Bret connaît « La misère, l’abandon » (Acte V, scène II) et qui vitupère seul contre les « plagiaires ». Cyrano affirmait préférer « ne pas monter bien haut, mais tout seul » (Acte II, scène VIII).

Cyrano aurait pu bénéficier d’opportunités inespérées en acceptant la protection d’un mécène qui lui aurait peut-être épargné sa blessure grave, blessure dont l’origine peut probablement être recherchée dans la vengeance d’un aristocrate autrefois humilié par lui. Il aurait sans doute pu ainsi vivre plus longtemps. Elle lui aurait permis aussi de vivre de sa plume, sans doute de quitter les Cadets de Gascogne et de ne plus être autant exposé au danger.

Mais Cyrano ne pouvant accepter une situation telle que le patronage, synonyme nécessaire à ses yeux d’obséquiosité et d’abdication de sa liberté, il refuse cette protection et préfère plus simplement continuer comme avant.

Là est l’échec de Cyrano : il aurait pu être plus célèbre encore, donner la pleine mesure de son talent, mais ce refus de la contrainte lié à la protection, l’allégeance, va bloquer sa propre carrière littéraire.  C’est en ce sens que Cyrano est un « raté », puisqu’il subit les contraintes de son temps qui balaie les individus refusant d’accepter ses règles, et finit donc par devenir marginal.

« Déplaire est mon plaisir, j’aime qu’on me haïsse », (scène 8 acte II)

Cet amour de la provocation est certainement pour beaucoup dans l’oubli qui l’a affecté, comme Cyrano le reconnaît lui-même :

« Ma vie fut d’être celui qui souffre, et qu’on oublie ! » (Acte V, scène VI)

Le sentiment de Cyrano en est sans appel, il se juge lui-même celui « Qui fut tout, et qui ne fut rien » (Acte V, scène VI).

Ultime ironie : Alors que Cyrano est cloitré dans une abbaye, en attendant la mort, De Guiche lui a reçu une promotion, il est désormais duc, et ne s’appelle même plus de Guiche, mais De Gramont .. Voilà une belle injustice du sort comme de l’époque : l’homme courageux est abandonné à son sort et est oublié de Paris qui désormais célèbre Molière, et l’antagoniste qui convoite la même femme que lui et dont le mérite principal semble être sa position de neveu de Richelieu, lui, obtient les honneurs les plus grands.

 

 

B-Amoureux mais jamais aimé

 

Cyrano aime Roxane, ne lui tient pas rancœur de son amour pour Christian. Après la mort de celui-ci il continue d’aimer Roxane pendant quinze ans : de la première scène du premier acte en 1640 jusqu’à la dernière scène du dernier acte en 1655, il n’y a pas de doute sur son amour.  

La mélancolie est continue puisque dès le début de la pièce Cyrano refuse d’avouer son amour à Roxane, et la souffrance issue de cette impossibilité d’avouer ses sentiments est alimentée par une série d’illusions, qui toutes vont amener à l’échec sentimental le plus évident.

« Si je sens seulement qu’il y a le moindre espoir » (acte II, scène V)Cyrano veut comme tout amoureux être aimé en retour. Cet espoir bien mince, que pourtant Cyrano s’interdisait, est la cause de son malheur : Quand l’espoir est tué par la rude réalité, il fait plus mal que l’espérance dont on a accepté la caractère illusoire.

Cet amour, c’est là le grand malheur de Cyrano dans la pièce, ne sera jamais réciproque. L’échec de Cyrano est là : il a échoué à avouer son amour à Roxane, qui ne comprend les sentiments de son cousin que lorsqu’il récite cette lettre qu’il ne peut lire à cause de l’absence de lumière. Cyrano est toujours comme paralysé face à elle, et sa crainte est la crainte d’une humiliation, celui de se retrouver ridicule face à elle : « Qu’elle me rit au nez, non, c’est la seule chose au monde que je craigne » (Acte I, scène V) Pendant près de quinze ans il n’avoue pas à Roxane qu’il est le véritable auteur des lettres adressées au nom de Christian.

Il a ensuite échoué à protéger Christian, qui meurt désespéré des mots de Cyrano, auxquels Roxane accorde son amour. C’était la mission que lui avait confié Roxane.

Comme il l’avoue à Le Bret, son amour est si fort qu’il le motive. Cyrano ne croit pas, dès le début de la pièce, à ses chances : « dis quelle espérance pourrait bien me laisser cette protubérance », (Acte I, scène V). Christian lui-même ne le convainc pas de révéler son amour «  Non, non, pas ce supplice ! » (Acte IV, scène IX).

La déception s’impose vite : l’attente, le fol espoir qu’il attendait, et parmi les « ah », le dernier n’est que la reconnaissance par Cyrano de son échec (Acte II, scène VI) Lorsqu’il croit que l’espoir est peut-être permis, il subit une désillusion : c’est l’échec à admettre le réel. Echec et mélancolie dans la posture même: les didascalies le décrivent comme « les yeux à terre », (Acte II, scène VI).

Lorsque Roxane prononce les mots qu’il rêvait d’entendre depuis si longtemps sortir de sa bouche : « je vous aime » (Acte V, scène IX) mais qui n’ont pas la sincérité de l’amoureuse, mais plutôt la compassion de celle qui veut sauver son cousin.

 Roxane ne lui rend pas son amour, lui qui n’attendait qu’un espoir est nommé « presque frère ». Sourde à ses litotes « vous n’étiez pas vilaine », à sa pâleur soudaine lorsqu’il s’est un instant cru aimé par elle. Rien de plus qu’une « amitié si tendre » et un « je vous aime bien » (Acte II scène VI) Son « je vous aime » est bien loin du sens souhaité par Cyrano. Cyrano d’ailleurs continue jusqu’au bout son refus de lui avouer son amour. « Non non mon cher amour, je ne vous aimais pas » (Acte V, scène VI), jusqu’au paradoxe révélateur. Cyrano avait saisi que sa laideur, et le rejet physique qu’il crée, l’empêcherait d’être aimé.

En ce sens, il est un personnage de tragédie, puisqu’il n’est pas responsable de sa propre physionomie, et qu’il ne cesse de la subir : des railleries de Valvert à celles de Christian, en passant par l’indifférence sentimentale de Roxane à son égard.

Cyrano était peut-être maudit depuis sa naissance, puisque comme il l’affirme, sa propre mère ne le trouvait pas beau. Le refus d’une mère d’affirmer la beauté de son fils n’est-il pas le signe d’une destinée vouée à l’échec, puisque Cyrano ne parvenait pas à être aimé du seul être dont on ne doute pas de l’amour, sa propre mère ?

 

En conclusion, nous dirons que la force de cette pièce est de faire connaître les déboires d’un raté à un personnage plein de talents, mais qui subit son époque comme le réel, dans les lettres comme en amour. En plein délire en raison de sa blessure il tente de frapper  les « Préjugés », mais il n’atteint que le vide, symbole de l’inutilité de ses efforts pour vaincre cet ennemi impossible à vaincre. Son talent, ses aptitudes multiples et ses qualités morales ne peuvent rien pour lui, et c’est en ce sens qu’elles rendent pathétiques et finalement malheureux le personnage de Cyrano.

 Laissons-le donc conclure par ces mots:

« J’aurai tout manqué, même ma mort. » (Acte V, scène VI)

 

Cyrano a manqué sa mort, mais il incarne cependant une fierté, une élégance, une conception de l'art et de l'existence propre à la France, et qu'il appartient aux Français de défendre face à la "tenaille des racailles": celle d'en haut, et celle d'en bas... 

Les commentaires sont fermés.