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L'héroïsme dans l'épopée traditionnelle française

Un peu d'épique. Publié par la revue Rébellion, n°98.

 

 

L’héroïsme dans l’épopée traditionnelle française

(publié par la revue Rébellion, n°98)

 

 

L’épopée, selon le vieux dictionnaire Littré, est la narration poétique qui précède les temps de l’écriture de l’Histoire, et dans laquelle un peuple célèbre ses dieux, ses héros, ses saints.

La poésie épique est considérée comme un des grands genres poétiques. Les Chansons de geste en sont un exemple, et ce sont ces épopées considérées comme des poèmes et des romans (en même temps) qui vont nous intéresser plus particulièrement.

 La chanson de geste est destinée à présenter un récit d’exploits essentiellement guerriers, tel est le sens de geste, issu du latin gesta. Ce sont les exploits d’un personnage qu’il s’agit de célébrer. C’est à la fois un lyrisme et la célébration des exploits du héros. Son courage et force sont mis aux services des objectifs de la communauté. Le récit est digne d’enflammer le courage des guerriers à qui cette chanson est dédiée. Daniel Madelénat affirme qu’il existe trois sortes d’épopées : celle dite « mythologique », où dieux et humains se confondent (ex du Ramayana indien), l’épopée mythico-historique « où les hommes, plus autonomes, s’éloignent des divinités », dans laquelle on peut classer les poèmes homériques, et enfin l’épopée historique, « où les valeurs héroïques s’affirment au détriment des interventions magiques et surnaturelles ».

Pour l’historien François Suard « l’épopée a pour rôle de rassembler les valeurs d’une communauté, dans la perspective d’un continuum historique. »

Pour produire une épopée plus spécifiquement nationale il faut une « unité de tradition, d’idées, de vie, de tendances, de vie », selon l’éminent historien Léon Gautier. L’élément héroïque est à ses yeux ce « mélange de vertus et de vices spontanés, de pensées naïves et d’actions viriles, d’idées jeunes et presque enfantines, de conceptions sauvages et de mœurs presque barbares ».

Comment Gautier définit-il l’épopée médiévale traditionnelle française ?

« Le sentiment militaire y domine, non la galanterie. La guerre, non la femme. Le surnaturel, et non le merveilleux. La légende et non la fable, qui est encore plus éloignée de l’histoire. Simplicité et ignorance, pas d’étalage de connaissances. La vie, non la convention et la formule ». Le but de l’épopée française ancienne est d’expliciter le sort du monde : celui-ci sera chrétien ou « mahométan », promis au paradis ou à l’Enfer, donc.

L’épopée, nous l’avons dit, précède l’écriture de l’histoire. Elle s’inspire des chansons populaires et est l’œuvre de trouvères ou de leurs cousins les troubadours. Les anciens poètes épiques des Chansons de geste étaient graves et sérieux, dédaigneux de la galanterie, « amoureux » du sang, du fer, des batailles. Au Moyen âge on ne s’y trompait pas, et l’Eglise recommandait à ses confesseurs à traiter charitablement cette catégorie de poètes-jongleurs, (au détriment des autres) uniquement intéressés à chanter les guerriers et les saints d’autrefois. Ces jongleurs sont restés anonymes, leurs noms ont disparu, leurs œuvres rarement signées. Pourquoi pareille lacune ?  « Les temps où naissent les véritables épopées ne sont pas ceux où éclot la vanité littéraire », précise Gautier. L’amour-propre des auteurs est celui de la fin des temps épiques. Non de son apogée.

Il existe des épopées artificielles, sorties du cerveau d’hommes parfois brillants, parfois moins. A l’inverse existent les épopées naturelles, fruit issu d’une longue maturation, toujours construite sur un morceau de vérité historique.  

De ces épopées naturelles ou primitives, notre temps en a conservé une dizaine.

Parmi les conditions nécessaires à l’élaboration de l’épopée naturelle, il faut des héros qui soient la personnification de tout un pays et de tout un siècle. L’épopée française devrait à l’Eglise, pour Gautier, toutes les idées religieuses et morales qui sont les siennes.

Elle devrait aussi beaucoup aux Germains, en particulier à la conception germanique de la guerre. Un esprit germanique sous « forme romane » si on en croit Gautier, qui affirme aussi que l’épopée est la poésie des peuples jeunes, des peuples enfants, ceux qui ne font pas encore la différence entre mythologie et histoire. Cette poésie célèbre des héros qui se distinguent des autres combattants par « un talent unique au métier des armes, talent qui est la manifestation d’une supériorité spirituelle. » Ce héros mène un combat au service d’un Bien absolu contre un Mal absolu.

Nous prendrons ici comme exemple principal, la Chanson de Roland, pour essayer ce qui dans ses caractéristiques propres permet de la ranger dans les épopées traditionnelles.

Les épopées naturelles furent, des siècles durant, le cœur de la vie poétique et intellectuelle de peuples entiers pendant des siècles, et elles ont été leur chant de guerre, leur chant de paix, celui de leur courage et de leur triomphe final. Tout comme leur consolation et leur joie.

L’épopée véritable est d’origine populaire. Le génial Chrétien de Troyes, pour citer le plus célèbre de ces clercs-écrivains, y est parfaitement étranger. Elle est le fruit d’une tradition de plusieurs siècles, et d’une légende inspirée de l’histoire réelle, arrangée avec le contexte de la période où elle est chantée. Il lui faut pour naître une époque primitive, un milieu national et religieux, des souvenirs se rapportant à des faits douloureux et extraordinaires.

Ce qui différencie les plus anciennes épopées françaises, celles que l’on peut qualifier de traditionnelles, d’autres plus tardives, c’est leur sérieux, leur gravité. Le sens de l’existence proposé n’est pas, comme dans les mythes arthuriens, et comme le précise l’historien Jean Frappier d’être « digne d’être aimé, en donnant des preuves de sa vaillance dans trois combats au moins ». Mais l’épopée traditionnelle fait ressortir l’humanité profonde de ses personnages. Prenons un exemple révélateur : Roland est un guerrier surpuissant, le plus puissant de tous même, mais demeure profondément émotif : amoureux, facilement colérique, orgueilleux. Jamais un parfait chevalier au sens le plus strictement chrétien du terme, alors même que la foi religieuse de Roland ne peut être remise en cause tant elle est évidente.  

Que chante l’épopée ? La défaite magnifique du héros. Rien d’étonnant à cela. Gautier nous précise que « par une loi singulière et magnifique de sa nature, l’homme est porté à célébrer ses malheurs plutôt que ses joies, et la douleur est le premier de tous les éléments épiques ». La Chanson de Roland use d’un langage simple, les mots ont leur première définition, il n’y a pas d'images ni de périphrases. 

 

La mort et la défaite sont le sujet des plus anciens chants épiques, dont le plus célèbre et le plus abouti est bien sûr le texte connu sous le nom de « Chanson de Roland », et attribué à un certain Turold, dont on ignore tout. Ces chants virils sont rarement franchement joyeux, et si la galanterie n’y a pas sa place,  l’Amour a la sienne, quoique discrète. A l’inverse, pas d’économies dans le sang et les larmes. La Douleur est le véritable sujet, et avec elle, la Sainteté. Léon Gautier précise que « les hommes de ces temps se contentent d’idées très simples, et très nettes, et ne subtilisent point avec elles. Ils ne se considèrent que comme des soldats. Contre les « Infidèles », on était convaincu qu’on représentait la cause du Droit et de la Lumière, et que cette mission devait être mêlée de quelque douleur ».

Parmi les récits les plus anciens de France, figurent certains textes classables dans ce que les clercs médiévaux ont nommé la « Matière de France », c’est-à-dire les aventures mythiques de Charlemagne et de ses chevaliers. Regroupés en cycles, ces récits ont pour héros principal Saint Renaud, Saint Guillaume ou Saint Charlemagne. La forte personnalité de ce héros central est celle « de l’époque et de la race » où ses exploits sont chantés, nous dit Gautier. Roland, justement, est le représentant de l’idéal chevaleresque des Xe et XIe siècles.

Le public des plus anciennes épopées doit vivre dans un univers guerrier véritable : La communauté constituée, organique, doit faire face à une menace mortelle, le tout dans un contexte féodal. C’est le rôle que les jongleurs qui récitent ces chansons donnèrent au Moyen-âge à l’Islam, en plein contexte de croisades. Ainsi, Charlemagne, qui a effectivement combattu les musulmans de l’émirat de Cordoue en Espagne, va devenir dans la légende le héros et rempart de la Chrétienté face à ce qui est perçu comme une menace de destruction païenne. 

L’épopée traditionnelle raconte un âge de fer, où parfois les guerriers, parfois des barons, se révoltent contre leur roi (Ganelon, beau-père et ennemi de Roland, se révolte contre Charlemagne et le trahit), où les trahisons sont multiples (c’est aussi le rôle symbolique que joue Ganelon dans la Chanson de Roland). La foi religieuse est sincère, le chevalier de ces épopées est viscéralement attaché à l’Eglise dans l’épopée traditionnelle française. Elle aussi patriotique : Roland se bat aussi pour la « douce France ».

Si comme précité la galanterie est absente, la femme paraît néanmoins sous un beau jour. Cette poésie est chaste, il n’y a jamais d’allusions directes à la beauté physique des femmes ou au sexe. Pour autant les héros pleurent volontiers leurs aimées. Ainsi Roland pleura Aude, sa fiancée.  

Les personnages, même ceux moralement réprouvables, subissent des dilemmes moraux. Ganelon, le Judas de l’histoire mythique de la France, finit sa vie l’épée à la main, magnifiquement courageux. Ganelon, pour Gautier, c’est l’homme jadis courageux que les passions ont fait chuter. En somme, ce n’est pas un traître né, ou un personnage construit comme un archétype sans profondeur. Là se manifeste le destin de l’élite héroïque du genre humain : un mélange de misères et de grandeur.

Le monde décrit par ces poètes de l’épique traditionnel ne s’intéresse pas au merveilleux, nous ne sommes pas dans les légendes arthuriennes, il n’y a pas de fées, de nains, et de monstres. En revanche, il y a un amour du surnaturel, témoins de la présence divine : les Anges descendent du Ciel pour discuter avec Charlemagne, un roi à la fois chef de guerre et saint. D’ailleurs les personnages des premières épopées, jusqu’au XIIe siècle, sont vivants, épiques et saints pour certains : « Ils sont malheureux, parce qu’ils sont épiques, ils sont épiques, parce qu’ils sont saints. » comme nous le rappelle Gautier. La sainteté, justement, est épique, car jamais vulgaire.

L’épopée traditionnelle, en France, ne survivra pas au début des croisades. Reprise par les clercs, la vieille tradition épique va être remaniée, en fonction des intérêts du moment. Les personnages vont devenir des stéréotypes, des objets de conventions, de formules, qui vont empêcher toute inventivité. Devenus caricatures, trop parfaits parfois, les personnages des premières épopées françaises vont mourir sous la plume d’intellectuels et de « mauvais prosateurs » qui vont les dénaturer. Gautier impute, entre autres, à Ronsard la décadence de l’épopée française, car rien de véritablement épique ne pourrait sortir du cerveau même brillant de l’auteur de la Franciade. D’autant plus que les temps historiques, c’est-à-dire ceux documentés abondamment par des témoins qui se veulent objectifs, empêchent l’héroïsation. La prise de Jérusalem par les Croisés en 1096 donna lieu aux derniers poèmes épiques, ceux d’avant les époques trop bien connues pour que la légende ait sa place, Godefroi de Bouillon, leader de la première croisade, sera le dernier héros de ces légendes françaises.

Bernard Guidot nous donne aussi l’exemple de la « Chanson d’Antioche » : Cette œuvre vise à justifier la croisade, à asséner des reproches de cruauté et d’idolâtrie aux musulmans. Le surnaturel est bien sûr présent : Dieu soutient les Croisés dans le siège de la ville. Mais aussi étrange que cela paraisse, le manichéisme est relatif, l’ennemi n’est pas toujours dénué de moralité, et ce même si la barrière entre protagonistes et antagonistes est claire.  Les antagonistes sont pour certains capables d’émotions, de remords, à l’image de l’émir Garsion qui affirme son regret d’avoir tué tant de Chrétiens.

Typique de l’épopée, on a des simplifications, des amplifications, un survol des batailles, des exploits extraordinaires, un usage répété du même vocabulaire et de phrases analogues. Sont mises en avant les qualités extrêmes du héros, un massacre extraordinaire, le noircissement moral de l’adversaire, une atmosphère d’inquiétude altérée seulement par la présence invisible de Dieu. Parfois on constate chez les personnages positifs la démesure, l’audace irraisonnée, la violence des contrastes (comme la multitude des ennemis contre un héros seul), l’expression spectaculaire du chagrin, une conception de l’horreur revendiquée. Les personnages sont d’origine prestigieuse : les personnages sont de grands féodaux, à l’image du duc de Normandie ou de Godefroi de Bouillon.

A ce sujet Gautier précise que l’on donne toujours aux héros des généalogies honorables, des ancêtres et des parentés prestigieuses : Ainsi pour Saint Guillaume de Gellone, fils et petit-fils de héros, ou encore Roland, que l’on fit neveu de Charlemagne lui-même. Ces héros sont toujours, en contexte de croisade ou non, des défenseurs de la Chrétienté : Saint-Guillaume bat les Sarrasins sous les murs de Narbonne, Charlemagne vainc l’émir Baligant après la défaite de Roncevaux.

Pour Martin de Riquer, les personnages de l’épopée ont une épaisseur psychologique certaine, leur donnant une complexité réelle. Ainsi Ganelon est physiquement beau, de gaillarde apparence. Sa haine l'a perdu. Il reste jusqu'à la fin obéissant envers Charlemagne. C'est parce qu'il se sentait méprisé qu'il trahit. Envoyé pour une mission périlleuse, qu'il accomplit, la colère de Ganelon est le véritable départ de la Chanson de Roland. Les poètes ont ainsi expliqué par un motif humainement compréhensible le pourquoi de la trahison de Ganelon. 

Roland lui-même n'est pas Galaad de la légende arthurienne, il est plus qu'un symbole. N'étant pas parfait, volontiers téméraire, c'est un enfant belliqueux, un rigolard, et qui veut être le premier en toute occasion. 

Seul Olivier, le brave et surtout sage compagnon de Roland, semble être un chevalier parfait, toujours de bon conseil, mais pas toujours écouté. Certains sont le reflet d’une idéologie certaine : c’est le cas de Turpin, symbole vivant de l'alliance entre le statut d'homme d'église et la force guerrière, entre foi et bravoure physique. C'est lui qui bénit tous les guerriers tués à Roncevaux avant de mourir lui-même

 

Pour comprendre l’épopée, il faut aussi s’imaginer le baron-type du XIe-XII e siècle :

Encore selon Gautier, « les hommes de ce temps se contentent d’idées très simples, et très nettes., et ne subtilisent point avec elles. Ils ne se considèrent que comme des soldats. » Contre les Infidèles, on était convaincu qu’on représentait la cause du Bien absolu et que « cette mission devait être mêlée de quelque douleur ». Et à côté de cela ont lieu les continuelles luttes féodales, faite de rancœurs, de massacres et d’intrigues. Notons que ces seigneurs pour qui étaient conçues ces chansons « méprisaient les bourgeois », les citadins.

L’épopée avait en elle toutes les espérances de la vie. Une « vie féodale dure, mais saine et simple ». L’idéal des jeunes gens était d’être chevalier, d’aller combattre en Terre Sainte, puis à revenir en France auprès de femmes et enfants, dans leur pays, de chasser et de tuer « tous les traîtres et félons ». La fin de leur vie serait sans doute monacale. C’est justement l’idéal dans les chansons de geste. On peut aussi remarquer un amour de la nature qui coïncide avec celui de la guerre : le début des opérations militaires est aussi celui du printemps.

Le trouvère prêtait l’oreille aux chansons populaires traditionnelles. Ces chansons populaires, lyriques et héroïques, étaient nommées « cantilènes ». Les cantilènes finissent absorbés par les jongleurs aux environs du Xe siècle. Le jongleur « joue » sa chanson tel un acteur, accompagné par des vielles. Pour l’universitaire Jean Rychner, le jongleur est un « professionnel de l’art épique », qui chantait pour les grands seigneurs comme dans les foires. Le jongleur est à la fois musicien, poète, saltimbanque, et acrobate.

 

Le trouvère trouvait dans le cantilène « le sujet, l’enchaînement, les péripéties du poème, résultat tant de la tradition que de son cerveau. Les trouvères développèrent la Tradition sans jamais la trahir. Puis, ils se firent arrangeurs. A partir du XIIe siècle, ils modifient l’esprit poétique, et détruisent la Tradition en inventant de nouveaux poèmes », des poèmes dont l’esprit diffère de ceux du passé.

 

Pour Léon Gautier, c’est la Renaissance qui définitivement a brisé cette tradition nationale. Elle était la suite logique de la lente décadence de l’épopée, dont l’origine remonte aux prosateurs du XIII siècle, « artificiels », usant et abusant d’un moule épique similaire. Les poètes de la Renaissance enterreront la poésie traditionnelle française, eux dont « l’œil cloué sur les Anciens », c’est-à-dire sur les Romains et les Grecs.

Intéressons-nous au voyage de l’épopée française : « Notre épopée est la seule qui ait ainsi battu tous les chemins du Moyen âge et qui se soit, pour ainsi dire, imposée victorieusement à l’hospitalité de toutes les nations ». Les imitations ont lieu en Allemagne, avec la Chronique de Charlemagne, en Angleterre après la conquête normande, en Scandinavie après sa conversion au christianisme. En Espagne, ce furent les  Roncesvalles, en Scandinavie la  Karlamagnus saga, en Angleterre et au pays de Galles la Cânt Roland et aux Pays-Bas le Karel ende Elegast.

On peut aussi noter la proximité certaine de la Chanson de Roland avec l’Iliade :

Dans l’Iliade aussi, la royauté est une sorte de paternité. Pas de despotisme. Le combattant aveugle, exubérant, fantasque, sauvage, c’est Achille. Patrocle, c’est l’amitié, douce et persévérante. Nestor, c’est l’expérience. Calchas : c’est le représentant du Ciel. L’élément comique : Thersite. Ajax le grand : Un autre Achille, plus sévère, moins capricieux et moins enfant que le premier. Ajax le Petit, c’est la furie contre les dieux eux-mêmes. Et la beauté, c’est Briséis, lueur charmante mais effacée. Charlemagne c’est un Agamemnon chrétien, qui n’est pas tout-puissant. Roland c’est Achille, Olivier c’est Patrocle. Nestor c’est Naimes, Turpin c’est Calchas, Ulysse c’est Basin. Estout c’est Thersite, Ogier c’est Ajax le grand et Ajax fils de Salamine est Girard de Fraite.

En dehors des ressemblances avec la poésie homérique, on pourrait encore noter des points communs avec le Mahabharata et le Ramayana indiens, ou les Nibelungen germaniques, qui partagent avec les épopées de la Matière de France un « air de famille ».

Pour reprendre une formule d’Alexandre Douguine, la « Tradition » désigne ce qui appartient non au passé, mais à l’éternité : ce qui est invariant chez l’être humain, en son âme et ses rêves. Notre propos permet peut-être de comprendre un peu mieux pourquoi ce que nous nommons les épopées « traditionnelles » résonnent encore en nous, des siècles et des siècles après leur naissance, et évoquent, le plus souvent inconsciemment, un sentiment de vérité et de grandeur inégalé, voire inégalable.

Par ailleurs, notons que le professeur Léon Gautier affirme qu’une nation n’est forte que si elle se souvient de ses ancêtres. Comme il l’affirme lui-même : « Les nations les plus durables et les plus fortes ont et ont toujours été les nations traditionnelles » et « on marche plus volontiers à la bataille quand on se rappelle les « faits et dits de ses ancesseurs (ancêtres) », quand on se souvient de leur histoire, de leurs traditions et de leurs héros, quand on rencontre à chaque pas la trace de leurs grandes actions et de leurs grandes victoires. » Ces souvenirs donnent à une nation plus de solidité, de dignité et de tenue. Et nous ne voyons pas comment infirmer ce propos.

 

 

Vincent Téma, le 18/03/23.

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