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Le moment Hugo, chapitre II: La chanson de Sophocle à Salamine

Une petite réflexion sur un poème d'Hugo, la 2e en date. 

Le moment Hugo, chapitre II :

La chanson de Sophocle à Salamine :

 

 

Le sous-titre est l'intitulé d'un petit poème d’Hugo, extrait de La Légende des siècles. Une petite réflexion suivra le poème lui-même.

 

Me voilà, je suis un éphèbe,
Mes seize ans sont d'azur baignés ;
Guerre, déesse de l'érèbe,
Sombre guerre aux cris indignés,

Je viens à toi, la nuit est noire !
Puisque Xercès est le plus fort,
Prends-moi pour la lutte et la gloire
Et pour la tombe ; mais d'abord

Toi dont le glaive est le ministre,
Toi que l'éclair suit dans les cieux,
Choisis-moi de ta main sinistre
Une belle fille aux doux yeux,

Qui ne sache pas autre chose
Que rire d'un rire ingénu,
Qui soit divine, ayant la rose
Aux deux pointes de son sein nu,

Et ne soit pas plus importune
À l'homme plein du noir destin
Que ne l'est au profond Neptune
La vive étoile du matin.

Donne-la-moi, que je la presse
Vite sur mon cœur enflammé,
Je veux bien mourir, ô déesse,
Mais pas avant d'avoir aimé.

 

 

Sophocle, auteur de tragédies athénien du Ve siècle avant notre ère, dont sept des œuvres furent conservées jusqu’à nos jours ( Antigone, Œdipe roi, Œdipe à Colonne, Ajax, Electre, Philoctète, Les Trachiniennes) sur les cent-vingt-trois qu’il a pu écrire, participa réellement à la bataille de Salamine, un affrontement durant lequel les Athéniens vainquirent la flotte du « Grand Roi » des Perses pendant les guerres médiques, en septembre -480.

Le clin d’œil au « héros sophocléen » semble évident : Le héros des pièces de théâtre de Sophocle subit son destin, l’accepte après avoir compris qu’il ne pouvait rien y faire. A l’instar de ce jeune homme qui ne compte pas tenter d’échapper au fracas de la bataille et à sa mort annoncée.

Notons que l’héroïsme du jeune homme est individuel, mais aussi probablement collectif : il représente la peur de sa Cité face au déséquilibre numérique entre les deux flottes de guerre, alors que les Perses ont l’avantage. La nuit est noire, comme la mort, et est synonyme des Enfers (l’Erèbe). « Neptune » est le dieu (romain, alors que le dieu grec est Poséidon) des océans : référence à la bataille navale qui participa à briser l’élan militaire perse vers l’Europe.

On peut aussi affirmer qu’Hugo ne nie pas qu’il y ait « gloire » à la guerre, ce même Hugo dont le pacifisme sincère n’est pas discutable.

Notons aussi que le cœur de Sophocle est enflammé, alors qu’il n’a pas encore connu l’amour : étrange. Ce cœur serait-il en train de brûler pour autre chose, ou alors pas seulement dans la perspective de l’amour ? Serait-ce le feu de la guerre, le feu de l’action, le feu de la jeunesse, toute cela à la fois ?  Hugo utilise-t-il Sophocle comme une allégorie de la jeunesse de la civilisation européenne, dont le génie n’a pas encore éclos et qui aurait été étouffé en cas de victoire perse ? La guerre, représentée telle une divinité féminine, n’incarne-t-elle pas le désir du danger, un désir pour le moins guerrier ?

Au fond, et c’est là que je veux en venir, Hugo serait-il en train de révéler à la lumière l’âme de chaque jeune homme, et de chaque civilisation dans son printemps ? Cette volonté de vivre tout en acceptant de braver le destin, sans la moindre trace d’inconscience dans l’esprit de ce qui n’est encore…qu’un adolescent, porteur d’espoirs pour l’avenir et doué de talents?

Cette volonté de vie semble d’autant plus grandiose qu’au final, les Athéniens l’ont emporté, et que la jeunesse et le génie de Sophocle ont pu naître.

 

Vincent Téma, le 05/09/23.

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