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Le poème 62 du Canzoniere de Pétrarque

Un petit rayon de soleil venu de l'Italie médiévale. 

Poème 62 du Canzoniere :

 

 

Voici le poème que j'aborde aujourd'hui: 

 

"Père du ciel, après les jours perdus, 

après les nuits dissipées en délire, 

avec l'âpre désir qui enflamma mon cœur, 

en voyant pour mon ma si jolie apparence,

permets qu'en Ta clarté désormais je parvienne 

à une vie toute autre, à des desseins plus beaux, 

afin qu'ayant ses rêts vainement déployés

mon cruel adversaire demeure confondu.

Révolues aujourd'hui Seigneur, sont onze années 

depuis que je fus mis au joug impitoyable 

qui est le plus cruel envers les plus soumis.

Prends en pitié mes indignes tourments;

ramène en meilleur lieu mes errantes pensées;

et représente leur qu'en ce jour fus en croix. "

 

 

 

Le poème que je vais essayer d’analyser est l’un des 317 sonnets du Canzoniere. Sonnet italien, et donc composé d’un huitain et d’un sizain, le « je », qui semble bel et bien désigner le poète lui-même. Ce « je » s’adresse à Dieu. Il confesse à celui-ci ses fautes, demande sa clémence, se décrivant comme un chrétien soumis faisant vœu de « desseins plus beaux », il faut comprendre plus chrétiens, plus saints. Ce poème lyrique illustre un thème récurrent dans le Canzoniere, à savoir la lutte entre le désir des joies terrestres et la foi chrétienne.

Le poète, opposant ombre et lumière, Satan et Dieu, décrit une dynamique temporelle : du passé dont il a honte, et avec lequel il désire rompre, il souhaite, dans un avenir proche, trouver la lumière que seul Dieu peut lui accorder. Il manifeste donc le souhait de ne plus souffrir et de trouver le sentier divin.

Dans le 1er quatrain, le poète s’adresse au Seigneur et décrit ce qui fut son passé : Il parle de « jours perdus », de « nuits dissipées » (il avoue donc sa débauche, soit la luxure, le 5e des 7 péchés capitaux), il regrette son désir ayant pris une plaisante « apparence » ( ce qui correspond à la description traditionnelle du diable lequel, séducteur, séduit par l’apparence), et cette « jolie apparence » pourrait vraisemblablement être Laure, l’être aimé pour lequel il ne regrette aucun sentiment  « d’amour », comme il l’indique dans le poème précédent.  Pourtant voisinant cet amour un élément est identifié comme l’une des sources de ses maux dans notre poème, c’est « l’âpre désir ». « Je » regretterait donc non le sentiment amoureux lui-même, mais le désir seul. Il y a donc là l’opposition manifeste entre joies de ce monde et désir de plaire au Seigneur.

Dans le second quatrain, le « je » demande à Dieu de lui accorder sa « clarté », sa lumière, pour parvenir à de meilleures intentions personnelles, signe qu’il entamerait à peine sa pénitence. On peut y voir une référence à un texte précis de la Bible, en l’occurrence à l’histoire de Job, qui comme le poète souffre et obtient le salut parce que Dieu lui a accordé sa « clarté », le même mot étant utilisé dans certaines traductions du livre de Job. Le « je » décrit l’intention de « l’adversaire », terme qui est utilisé dans le vocabulaire chrétien comme une périphrase pour désigner Satan, lequel tente de capturer le poète comme un pêcheur ses poissons ( c’est la métaphore des « rêts »). L’adjectif « cruel » sert à souligner davantage la malveillance de Satan, lequel est déjà cruel par nature.

Dans le premier tercet le poète affirme être arrivé au bout de « onze années » de souffrances. Encore une fois la symbolique chrétienne sous-entendue est manifeste. En effet le nombre onze a de nombreuses significations dans ce contexte, car il correspond à la 11e station du chemin de croix, où Jésus est cloué sur la croix. Le nombre 11 peut aussi être une référence à la parabole des ouvriers de la 11e heure de l’Evangile selon St-Matthieu, dans laquelle Jésus promet que « les premiers seront les derniers, et les derniers seront les premiers », ce qui signifierait que « je », qui se présenterait donc comme l’un de ses « derniers » aurait toute sa chance d’obtenir son salut puisqu’il finirait donc premier, d’autant plus qu’il se présente comme soumis. L’écoulement de ces onze années signifie aussi que le poète entre dans une 12e année, le nombre 12 étant symbole de perfection christique en référence à la 12e station du chemin de croix qui représente la mort sur la croix, mentionnée dans le dernier vers du poème. Le « joug », renforcé par l’épithète « impitoyable » comme cruel l’était pour Satan, semble bien être celui de Dieu, décrit comme « cruel » envers lui. Le poète souffre le martyr, et le fait savoir.

Manifestement le poète semble reprocher à Dieu d’être aussi cruel que le diable. L’adjectif « cruel » qualifie directement le second et indirectement le premier, Dieu, qui lui a mis ce « joug », lequel devait être pourtant « léger » si l’on en croît la parole de Jésus dans l’Evangile selon St-Matthieu. Serait-ce reprocher à Dieu de mentir ? Le poète n’y répond pas directement. Aussi le parallélisme ainsi établi entre le diable torturant le « je » pécheur et Dieu imposant la douleur au « je » christique exprime une forme de douleur de l’existence puisque peu importe le chemin qu’il choisit, « je », souffre sur terre, avec pour seule espérance le salut et le repos qui ne peut qu’être accordé que par le Ciel.

Enfin le poète demande pathétiquement au Seigneur d’abréger ses souffrances, fait une comparaison implicite entre ses pensées et les brebis égarées, lesquelles doivent être ramenées dans le bon pré, celui de Dieu, comme le fait Jésus dans les paraboles de l’Evangile pour désigner les pécheurs, ce qui accentue encore la déclaration de soumission dont le « je » se réclame (puisque si ses pensées sont des brebis, alors il reconnaît qu’elles ont vocation, et donc lui avec, à obéir à un berger, c’est-à-dire Dieu), et finalement le « je » affirme qu’il est tel le Christ, qu’il souffre le martyr comme lui, qu’il expie tout en parvenant à la résurrection, parce qu’il est mis en croix. Pieuse soumission à Dieu ? Blasphème ? Il semble bien que le poète associe les deux en même temps.

 

 Notre « je » serait donc à la fois grand pécheur, magnus peccator, et martyr authentique, un nouveau Jésus qui semble demander à son père, « Seigneur, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

 

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