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Le portrait de Caton le Jeune par Lucain

Caton d'Utique, adversaire de César, vu par le poète Lucain, contemporain de Néron. 

Une âme de kshatriya : Le portrait de Caton d’Utique par Lucain

 

 

Il est vrai que l’on trouve peu d’exemples d’héroïsme moral dans notre quotidien, et plus généralement à notre époque. Contraints de les rechercher dans le passé, il nous faut encore procéder à un tri rigoureux, car derrière combien d’actes louables se cachent des raisons qui relèvent du calcul, de l’ambition personnelle, d’intentions qui n’ont pas pour motif profond le respect d’un code de moralité ?

Cependant, il n’y a aucune raison de désespérer. Les héros authentiques existent et ont bel et bien toujours existé, et certains livres nous donnent une idée parfois précise de leur caractère. Une partie de ces héros sont ceux que l’on nomme les kshatriyas, pour utiliser le terme issu de l’hindouisme désignant les guerriers, et qu’Evola reprendra pour désigner une « race de l’esprit », celle de l’homme d’action, celle de celui qui lutte activement contre la décadence d’un certain monde moderne.

C’est l’un de ces ksatriyas évoliens qui sera évoqué aujourd’hui. Il s’agit de Caton, dit d’Utique. Célèbre depuis l’Antiquité, il fut notamment évoqué dans les vers du poète Lucain, et ce sont ces vers qui vont nous intéresser.

Lucain, quant à lui, fut pour le moins un auteur prolifique. Neveu du philosophe Sénèque, il vécut au premier siècle de notre ère. Il bénéficia d’une éducation de haut niveau pour l’époque : Il eut pour maître en philosophie le même professeur que le poète Perse. Comme son oncle, Lucain fut stoïcien. Sa renommée littéraire précoce lui valut d’être remarqué et apprécié de Néron. On le rappela même de Grèce, où il était parti pour achever ses études comme tout Romain éduqué de ce temps, pour être admis parmi les amis de l’empereur. Il devint ensuite questeur et augure.

Mais lorsque son oncle perdit la faveur de l’empereur, Lucain perdit l’avis favorable de celui-ci quant à son œuvre. Dès lors, le poète écrivit des pamphlets et accabla l’empereur de sarcasmes. Il rejoint alors le conspirateur Pison dans sa tentative de coup d’état, qui échoua. Reconnu coupable de participation au complot, Lucain se fit ouvrir les veines. C’était le 30 avril 65. Il avait vingt-cinq ans.

La Pharsale ( de son titre original Belli ciuillis libri) est son œuvre la plus connue. Elle ne fut publiée en intégralité qu’après la mort de son auteur, et c’est elle qui contient le portrait de Caton, dans le contexte d’une description de l’un des épisodes des guerres civiles romaines opposant César et Pompée. Pharsale est le nom de la bataille décisive entre les deux rivaux qui eut lieu en 48 av J.-C., et une victoire décisive pour César.

La citation qui nous intéresse aujourd’hui se trouve dans cet ouvrage. C’est au Livre II, aux vers 377 à 391, que Lucain va décrire le dénommé Caton. Voici la traduction du passage, réalisée par A. Bourgery et publiée aux éditions des belles Lettres en 1958 :

« C’étaient là les mœurs, c’était là la secte de l’austère Caton : garder la mesure, observer les limites, suivre la nature, sacrifier sa vie à la patrie, se croire né non pour soi, mais pour tout l’univers. Pour lui, festoyer, c’est vaincre la faim ; de grandes pénates, un toit suffisant pour écarter l’orage ; un vêtement de prix, la toge à poils rudes jetée sur les épaules à la façon de l’antique Quirite ; la vraie fin de Vénus, une postérité ; pour Rome il est père, pour Rome, mari ; adorateur de la justice, observateur d’une honnêteté rigide, vertueux dans l’intérêt de tous, jamais dans les actes de Caton ne s’est insinuée et fait place une égoïste volupté. »

Quelques précisions : le Quirite représente l’ensemble du populus romanus, c’est-à-dire du peuple romain, nous dirions de nos jours du corps civique de la Cité de Rome. Les pénates sont les divinités romaines du foyer : ici sans doute qu’il s’agit des statues les représentant. Quant à l’évocation de Vénus, c’est manifestement pour affirmer que Caton ne touche une femme que pour procréer.

À présent, un mot sur Caton, dit d’Utique. En voici la description faite par Joël Schmidt, dans l’Encyclopaedia Universalis :

« Arrière-petit-fils de Caton l'Ancien, Marcus Portius Cato, dit Caton d'Utique, est devenu au cours de la période qui précède la prise du pouvoir par César le symbole de la République romaine vertueuse et agonisante. Caton d'Utique ne se contente pas seulement, comme le fit son bisaïeul, d'exiger de la cité et des citoyens une intégrité morale au-dessus de tout soupçon, une droiture intellectuelle et un patriotisme républicain sourcilleux, il donne l'exemple d'un homme pour qui virtus n'est pas seulement un mot, une idée, mais une manière d'être et de vivre. Cette philosophie de l'existence, il ne l'a pas seulement apprise dans l'histoire des grands Romains de la République, il en a aussi tiré les principes du stoïcisme qu'il ne cesse de cultiver. Endurci contre la douleur grâce à la pratique d'exercices spirituels et d'ascèses corporelles, implacable envers ceux qui dilapident les richesses de la République ou jouent cyniquement son sort, il est tour à tour le contempteur de Sylla qu'il veut poignarder (il n'a pas quinze ans !), le défenseur de Rome menacée par la révolte des esclaves dirigés par Spartacus, l'accusateur, avec Cicéron, de Catilina (~ 63) et, pendant près de quinze années, l'opposant passionné et systématique des menées factieuses des triumvirs César, Crassus et Pompée. »

Remarquons la formule employée par Lucain, qui indique que Caton veut « suivre la nature »: c’est là le slogan historique du stoïcisme, celui de Zénon, fondateur de l’école stoïcienne dite « du Portique ». Caton fut considéré par Sénèque comme un modèle de fermeté d’âme, un exemple accompli de la doctrine stoïcienne. Pour ces maîtres, suivre la nature signifie en effet abdiquer toute passion déraisonnable, et préférer la raison, ce qui dans le contexte de cette école signifie accomplir ce pourquoi on est né, ce à quoi on est prédisposé. Frugalité et contentement avec le minimum vital sont des comportements nécessaires pour parvenir à l’ataraxie, la paix de l’âme, pour trouver sa propre nature.

Le stoïcisme enseigne encore que l’ordre du monde ne doit pas être modifié, ce sont ses propres désirs qui doivent l’être. Ainsi, Caton, vaillant au combat mais appartenant au camp des vaincus, et sur le point d’être capturé par César, renonce au vain dessein de rétablir l’ancienne république, et se suicide. Il tenta d’abord de se tuer une première fois avec une lame, mais n’en est que blessé, et s’évanouit. Plutarque décrit ainsi ce qui advint juste après cela dans son ouvrage les Vies Parallèles :

 « Le médecin arrive, et, ayant reconnu que les entrailles n’étaient pas offensées, il essaie de les remettre, et de coudre la plaie. Mais Caton, revenu de son évanouissement, n’eut pas plutôt commencé à reprendre ses sens, qu’il repoussa le médecin, rouvrit la plaie, se déchira de ses mains les entrailles, et expira. »

C’était en 48 av J.-C. Caton avait alors quarante-huit ans.

 

Vincent Téma, le 11/11/23. (vincentdetema@gmail.com)

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