Comment Yockey conçoit-il l'existence de l'homme accompli? Réponse ici. Publié par voxnr.fr le 17/05/24.
La vie comme un art
« Napoléon annonça l’homme du futur, Nietzche décrivit sa nature, Spengler annonça son arrivée imminente. »
Francis Parker Yockey
Francis Parker Yockey, à rebours de tout idéal de vie hédoniste, prônait une conception de l’existence hostile à tout compromis avec ce que nous pourrions nommer un idéal de vie bourgeois, matérialiste. Il a synthétisé sa pensée dans un texte intitulé La vie comme un art. Il y affirme :
« On a dit que la vie était un art, le plus grand de tous les arts. Mais elle est immatérielle comparée à la vaste puissance impersonnelle que nous tentons de conjurer sous le nom de Destin - que nous considérons la vie comme un art, une tâche, un fardeau, ou que nous prenions même la peine de l’objectiviser. »
Imaginer la vie sous un prisme rationnel revient à se fourvoyer :
« C’est toujours le vivant qui tente d’objectiviser la Vie, et la Vie n’est jamais autre chose que ce qu’elle est, par sa nature même. »
C’est le « supra-personnel », une forme de nature humaine dans un versant spirituel, qui se revêt du Destin et qui est la marque du vivant, rassemblant en lui les vies des générations et des nations, tout en manifestant une indifférence complète envers le résultat de problèmes qu’il pose.
La moralité n’est valable que si elle se conforme à cette nature humaine, supra-personnelle :
« L’Histoire, avec tous ses volumes et sa page unique, transmet ce message à l’homme avisé. Il est bien suffisant pour l’homme d’inventer une morale qui aura cours pendant une brève période et sur un petit territoire : la force intérieure de la vie-le Destin-s’assurera que cette morale temporaire n’interférera en aucun cas avec les nécessités du déroulement de la Vie. Si nous le souhaitons, nous pourrions parler d’une morale de la Vie, car c’est sûrement un des privilèges de l’homme, solidement emprisonné par la Vie, de pouvoir se contredire sans risques. »
Nous humains sommes ambivalents, car un Homme n’est jamais que « (…) la créature chtonienne-divine appelée homme », à la fois rattachée au matérialiste et à la spiritualité la plus haute.
Aussi la seule manière de réussir nos existences est simple :
« Nous devons vivre et nous devons respecter la Vie. »
Ce n’est « probablement pas » la vie qui fait ces demandes, mais ce n’est pas à nous de comprendre, mais seulement de voir ce qui est nécessaire et de l’accomplir. Sous peine d’échapper à notre nature profonde.
Au lieu de chercher à obtenir la connaissance ultime, il faut d’une certaine manière se contenter de l’essentiel :
« (…) le soleil couchant, qui chaque jour marque la fin d’un autre résumé de la vie de cet homme, cet homme-là, la somme des hommes, du monde et de l’univers étoilé, est la meilleure base pour un test après les explications, et l’homme en qui la pulsation de la vie bat fortement limitera son interrogation au crépuscule du soir. »
Contre les illusions, Yockey avertit : « malheur à celui qui prend le grand midi pour le soleil couchant ! »
Le respect de la vie a un sens précis :
« Nous devons respecter la vie-c’est-à-dire les demandes entièrement inconscientes de la Vie à ses produits les plus rares, les hommes de compréhension dont la rareté est révélée par la masse des autres, pour qu’ils conduisent leurs actes conscients sur la base d’une image de la Vie. Dans certains cas, le processus de découverte de l’image correcte occupe la vie entière d’un homme. C’est le philosophe. »
L’existence de celui qui s’est trouvé n’est pas passive :
« (…) les hommes d’action apportent les solutions-et les solutions sont les actions elles-mêmes. »
Il est impossible d’échapper à cette véritable fatalité qu’est l’appel de ce qui nous dépasse :
« Le cours de l’évènement supra-personnel est tout aussi inévitable que l’expression de ses possibilités par la rose en train de s’épanouir. »
Il y a pourtant un équilibre à trouver entre fatalité et libre-arbitre :
« Dans l’homme d’action, phénomène le plus profond du devenir, s’exprime la libre volonté au service du destin. La liberté et la nécessité-pour les hommes cela doit rester une contradiction qu’ils sont libres de résoudre. »
L’homme d’action se fait une « image de la Vie ». Mais quelle est-elle ?
« Il serait absurde de tenter de placer ma sélection d’une telle image sur une base autre que celle du goût-le goût étant en dernier ressort la vraie base des philosophies même les plus hautement rationalisées et mécanisées. »
L’homme d’action, l’homme libre d’une certaine manière, se différencie de son environnement par sa psychologie particulière :
«(…) les hommes supérieurs et les hommes inférieurs-le petit nombre appelé à diriger et les masses nées pour que les hommes supérieurs puissent accomplir une grande destinée-différant tellement en spiritualité qu’ils ne peuvent être considérés autrement que comme deux espèces différentes. En outre révérence on peut dire que les hommes inférieurs comptent sur Dieu et les hommes supérieurs sur eux-mêmes. Cette hiérarchie naturelle basique est le fondement sur lequel repose toute la philosophie pratique de la nature humaine. Elle doit donc être définitivement affirmée. »
Le schéma yockeysien est simple. Il n’existe pas un mais deux types d’hommes, discernables par les différences psychologiques que l’on peut observer entre eux :
« Il y a deux espèces d’hommes-aussi différents en spiritualité que les lions et les agneaux. Toute leur manière d’expérimenter la vie, de se nourrir du combat de la vie, de mener la bataille de la vie, de résoudre intérieurement le problème que présente la vie, les images de la vie qui en résultent-ils sont différents en tout. »
La peur de l’existence ne touche ainsi que les « inférieurs » :
« Dans tous les cas la méthode des hommes supérieurs est l’inversion de la méthode qui est appliquée par les hommes inférieurs. Les hommes inférieurs vivent dans une crainte continuelle, et cette crainte, métaphysique et physique, domine toute leur vision de la vie. »
C’est l’homme « inférieur » qui a besoin de « l’homme supérieur » :
« Leur monde [celui des hommes « inférieurs »] doit être libéré du chaos, et, dans une haute Culture, les débuts primordiaux d’un grand éveil religieux et d’une organisation patriarcale de la société témoignent de la crainte individuelle et supra-personnelle du terrifiant monde inanimé, le monde des bouleversements et des catastrophes, du non-ego sombre, mystérieux et inexplicable. »
C’est une histoire peu glorieuse de la religion qu’esquisse l’auteur d’Imperium : « le développement de la religion, en passant par la suprématie de la philosophie jusqu’à la dégénérescence finale en science libre, est l’histoire de la recherche par les hommes inférieurs de la sécurité intérieure-d ’une protection dans leur faiblesse devant l’inconnu. »
L’une des clefs de l’Histoire à comprendre est l’avidité des « hommes inférieurs » à satisfaire leurs besoins :
« La société a toujours connu à un certain moment le besoin des faibles-les hommes inférieurs-d ’avoir une sécurité externe et intérieure. »
L’homme « supérieur », est certes porté à l’action, mais toujours dans un but créatif :
« (…) les hommes supérieurs, cependant, incapables d’atteindre le confort-du-troupeau des hommes inférieurs, remplis intérieurement d’un chaos impétueux qui doit pouvoir s’exprimer, trouvent leur justification et leur satisfaction temporaire dans la grande créativité-littéraire, musicale, philosophique, religieuse, technique, ou plus grande que toutes celles-ci, la créativité des actions. Les hommes supérieurs sont eux-mêmes les serviteurs de la culture dans le sens où le style de leur créativité est fixé à l’avance par l’accident de leur naissance qui les place dans telle out elle époque culturelle. »
Ces « hommes supérieurs » ont toujours d’ailleurs toujours existé :
« Mais quelle que soit la période culturelle, la haute politique est toujours décisive, et ainsi pour les mille ans passés de la Culture Occidentale, il y a eu une succession continue d’hommes supérieurs dans le domaine suprême de la haute politique. De Frédéric II, Rainald von Dassel et Barberousse, à Wallenstein, Oxenstierna, Richelieu, le second Pitt, Napoléon, Metternich, Bismarck, Hitler ; la politique a toujours attiré les hommes supérieurs, quel que soit l’usage que d’autres domaines de haute créativité faisaient du précieux sang des nations occidentales. La politique, en s’emparant des pages des volumes de l’histoire, a ainsi montré sa position de commandement dans la créativité culturelle humaine. Tous sans exception, de Richard Plantagenet à Mussolini, de Torquemada à Spengler, les hommes supérieurs ont tous eu le même sentiment profond et inexprimé de leur mission. Les hommes plus petits, forcément remplis d’une jalousie venimeuse d’un genre si puissant et si irréfléchi, si sûr de lui-même ; ont toujours considéré ce sentiment des natures supérieures comme de la vanité, et le respect conséquent que les hommes supérieurs ressentent envers eux-mêmes comme de l’égocentrisme. »
Il semble bien d’ailleurs que la « supra-personnalité » soit l’exclusivité des « supérieurs » :
« Voilà ce qui distingue les natures supérieures-elle ont du respect pour elles-mêmes ; leurs propres âmes contiennent à leurs yeux quelque chose de plus précieux qui doit être mené à l’accomplissement, car les natures supérieures ont certains des attributs des âmes supra-personnelles. »
L’homme d’action, l’homme supérieur, est, on peut l’affirmer « habité » :
« De même que dans l’histoire dans le cours de son accomplissement gaspille des ressources humaines, niant et frustrant les espoirs humains, pénétrant dans la vie privée pour imposer aux âmes la tragédie, les hommes supérieurs nient et subordonnent leurs propres émotions, sacrifient leurs vies privées, et sacrifient tout, parce qu’il existe quelque chose de plus important pour eux que tout cela : la mission. »
L’homme doté de la « supra-personnalité » n’est pas incapable d’être rationnel, mais il accepte la limite de sa propre rationalité :
« Dans la conduite de sa vie, l’homme supérieur n’utilise pas plus la raison que ne le fait l’histoire elle-même. Il n’y a pas de raison pour le cycle des générations, pour le cycle vital universel de la naissance, de la croissance, de l’accomplissement, du déclin et de la mort, pour la durée de la vie humaine de 70 ans, la durée de vie de la Culture de 1000 ans, la durée de vie de la nation de 300 ans. »
Cette suprarationalité affecte tous les choix de sa vie, jusqu’au choix d’une compagne : « le choix d’une compagne, s’il a lieu d’être, est aussi décidé par la voix intérieure. »
L’homme supérieur vit à moitié dans son environnement naturel, et à moitié en dehors :
« Père, mère, épouse et frère ont des droits sur de tels hommes, mais quelque chose de supérieur a un droit antérieur. L’homme supérieur ne s’appartient pas, mais appartient à son époque et à sa mission. Egocentrisme ! Disons plutôt semi-divinité ! »
Yockey cite alors Emerson, dans son essai Self-Reliance : « je fuis père et mère et épouse et frère quand mon génie m’appelle.’ Pour Yockey cette phrase désigne tout « homme supérieur. »
Autre trait de ce self-reliant :
« Son génie (génie signifie force créatrice, ou, si l’on utilise le mot au sens honorifique au lieu de descriptif, cela signifie grande force créatrice) est sa marque, il fait de lui ce qu’il devient, il lui donne ce qu’il acquiert des biens de ce monde (…). »
Le bonheur du self-reliant n’est pas non plus commun avec celui du reste du genre humain, car son génie « le prive de tout contentement, de toute paix et de tout bonheur jusqu’à ce que la mission soit accomplie. Mais la force créatrice-cela restera à jamais incompréhensible pour ceux, bien plus de 99% de l’humanité qui ne peuvent pas voir profondément dans l’âme de l’homme de culture-a un fondement artistique. »
En elle-même la volonté de puissance se confond avec cet « instinct esthétique ».
Mais au final, comment cet homme supérieur est-il satisfait ?
« Dans le bref moment de satisfaction qui suit l’achèvement d’un ouvrage-un roman, un édifice, un pont suspendu, une symphonie, une bataille victorieuse-l ’âme d’un homme supérieur ressent une intense et profonde satisfaction esthétique sous la forme d’un respect pour lui-même et d’une union avec l’essence de l’Etre. Pendant un instant le mystère insondable est dissous, et l’homme devient un dieu. Mais le chaos tourbillonnant qui demande à prendre forme revient avec son fouet infatigable ; et seule la mort peut mettre fin à l’appel incessant de la voix intérieure. »
Trouvant ridicule que l’extrême développement de la faculté d’intelligence soit nommé génie, signe de la décadence de l’âme occidentale, laquelle a « achevé son cycle de développement, et que le futur domaine de développement de cette âme n’est pas dans la religion, la philosophie, l’art et la science, mais dans le domaine de l’activité technique, économique et politique. » Yockey constate :
« L’âme occidentale est finalement devenue extravertie. Elle est entrée dans sa dernière période. Les vieilles religions, les vieux systèmes, sont maintenant de simples formes, de simples recoins dans lesquels les individus non-créatifs et craintifs peuvent trouver refuge. La religion qui convient à cette époque est déjà clairement esquissée. Et avec elle il y a une morale aussi rigide que celle de Saint Ignace. »
S’il parle du passé, Yockey s’intéresse bien sûr à l’avenir. Quel serait pour lui l’état d’esprit adéquat pour un esprit élevé du XXIe siècle ?
« Notre religion peut être résumée en un mot : le scepticisme ; Et notre morale en un autre : discipline. Bien sûr, toutes les croyances existent à toutes les époques ? Sous une forme ou sous une autre. Mais à certaines époques, certaines croyances dominent-c’est-à-dire qu’elles sont celles des hommes importants. Pendant les Croisades l’homme important était un chrétien médiéval. Aux XVIIIe et XIXe siècles, c’était un athée. Et aujourd’hui c’est un sceptique-pas dans l’ancien sens où on n’accepte pas la religion chrétienne, mais au sens qu’il ne doute pas de tel ou tel principe, mais qu’il doute de la capacité du simple intellect à comprendre quelque chose. Il n’est pas un subjectiviste, il n’est pas athée, ni positiviste, ni pragmatiste- ceux-ci sont tous des systèmes, des explications, et il n’a pas d’explications, il ne construit aucun système. Au lieu de cela il construit des routes, des colonies, des empires, des actions. Il est immédiatement apparent qu’une telle attitude envers la vie n’est pas possible pour un métaphysicien ou un moraliste. »
Demain sera une époque antiintellectuelle :
« (…) les hommes importants du futur ne compteront parmi eux aucun penseur, aucun logicien, aucun penseur abstrait. Les grands hommes des Croisades conquéraient au nom de la Chrétienté ; les grands scientifiques, de Roger Bacon, à Max Planck, conquéraient au nom de l’accroissement de la connaissance ; les penseurs, de Thomas d’Aquin à Kant, cherchaient tous à réduire la totalité des choses à leur intellect au nom de la Vérité. »
Il affirme qu’aujourd’hui : « la quête de la Vérité n’attire plus les grands esprits. »
Plus qu’un idéal utopique, Yockey indique qui sera à même de faire triompher ses idées au cours de notre siècle :
« La Victoire en ces jours, comme lors de tous les jours précédents, ira à celui dont la spiritualité sera en accord avec l’Idée vivante de l’époque. »
L’homme du futur sera ainsi capable d’autodiscipline :
« L’idéal d’autodiscipline ne sera bien sûr réalisé que par l’homme supérieur, tout comme dans les temps médiévaux ceux qui réalisaient l’idée dominante de l’époque étaient les saints, les hommes supérieurs, les porteurs de la mission de ces jours. »
Et avec l’autodiscipline, arrive la construction nécessaire : l’Etat fort.
« Mais l’autodiscipline ne sera qu’un début, elle continuera dans le domaine de la formation des jeunes, de l’organisation politique, le monarque-appelez-le dictateur ou président, il reviendra, et l’idée héréditaire est trop forte dans notre sang occidental pour ne pas ressortir lorsque notre rationalisme finira par être épuisé. Education, loi, technique, armées et flottes, tout sera gouverné par la discipline, tout sera au service de l’Etat. »
Cet Etat sera « l’accomplissement complet de l’Idée de Puissance ».
La vie comme un art, c’est donc la vie au service d’une force :
« L’image de la vie qui convient le mieux à l’homme d’action est que la vie est une tâche artistique qui doit être accomplie au service de la volonté de puissance. »
Notre auteur demeure convaincu que la métaphysique du scepticisme est la seule à pouvoir convenir à notre époque : « la seule qui soit adaptée à une époque extériorisée. »
La morale de l’homme supérieur et d’action sceptique sera une morale de faits, « du champ de bataille, pas du confessionnal. »
Quelques exemples : Pour cet homme supérieur use comme remède pour un litige privé le duel, à aucun moment le tribunal. Gouverner revient pour lui à commander, à obtenir l’obéissance. Aussi la conception de la société d’un tel individu est le classement ordonné des hommes selon leur valeur et leur importance. Sa conception du mariage est une union spirituelle pour une vie entière, pas une camaraderie intellectuelle sans enfants (on peut parier sur le fait qu’il vise Sartre et Beauvoir, en l’occurrence).
La Vie elle-même, ou la nature, semble avoir exigé la venue de ce véritable homme du futur, qui balayera les pseudo-moralistes. Ainsi :
« Les cris plaintifs de ces améliorateurs-du-monde seront couverts par le piétinement des colonnes en marche. Le slogan d’égalité, mot d’ordre des inférieurs, disparaîtra, et personne ne s’en souviendra. La Vie a produit le rationalisme, et la Vie s’est fatigué de lui. »
Vincent Téma, le 13/05/24. (vincentdetema@gmail.com)